Vous le savez aussi bien que moi, les démarchages par téléphone sont monnaie courante. Je crois bien que pas un seul jour dans la semaine – non, même le dimanche – n’échappe à cette servitude de la communication (servitude, exactement : comme si on passait sur le terrain où vous espérez faire une petite sieste à l’ombre sans que vous puissiez empêcher l’intrusion). Une fois que vous avez pris l’appel, le mal est fait, puisqu’on vous a dérangé. Trop tard entendu, il y a tout de même un signe qui permet de repérer que cet appel ne peut qu’être casse-pieds : c’est l’accent, toujours massacrant pour les phrases françaises, du démarcheur ou de la démarcheuse qui répète Allo ! dans l’étonnement de ne pas vous entendre vous présenter (ce que jamais, au grand jamais, vous n’avez l’obligation de faire) puis qui, une fois les civilités enclenchées, vous débite son discours appris par cœur sans reprendre jamais souffle. Le massacre du français prend des formes légèrement différentes, mais c’est toujours un massacre. Quelques secondes suffisent pour qu’on sache de qui il s’agit (la présentation est toujours faite courtoisement) sinon de quoi il s’agit, bien que le débit cahotant se termine toujours par un « C’est bien votre cas, n’est-ce pas ? ». Je ne réponds plus, par lassitude, même si j’imagine au bout du fil une malheureuse Bulgare ou Tchéchène ou Ukrainienne ou Roumaine qui tente de survivre aux conditions terribles que son exil lui a imposées, et en dessous desquelles il n’y a plus que la prostitution. Mais j’ai plaisir à vous signaler que la voyance se fait aussi par téléphone, à un euro la minute c’est une véritable affaire. Imaginez le progrès réalisé depuis les gitanes au foulard de tête bordé de sequins tintinnabulants : c’était déjà miraculeux que votre passé et votre futur fussent aperçus dans la paume de votre main gauche, mais à présent, dites voir un peu ! Même plus de paume ni de main gauche, et pourtant on sait tout ce qui vous est arrivé, et on vous fait part de tout ce qui va vous arriver. Ne me dites pas que nous ne vivons pas une époque exaltante !