A chaque bout du téléphone, à l’écoute, un être marqué par la douleur. Chacun d’eux sait que la douleur ne se partage pas, malgré tout ce qu’on en dit, qu’il faut longtemps pour qu’elle s’atténue et que le chagrin ressenti par les autres, même s’il est preuve d’amitié et de proximité, même s’il est plein d’attention et de chaleur, apporte sa dolence au poids de la douleur sans l’alléger. Nous le savions l’un et l’autre. Nous savions que de la solitude on peut tirer quelque chose – la volonté de se reconstruire, la faculté de lui donner une forme malléable mais intéressante et tonique. Nous savions que l’absence, elle, est terrible et inusable. Paradoxalement dressée comme un bloc monolithique au milieu du territoire des sentiments, elle symbolise une volonté mauvaise d’entêtement borné, elle est indéplaçable, encombrante, elle refuse de se faire oublier et on se cogne à elle sans cesse, au prix de meurtrissures et de bleus – incroyable puisqu’elle représente ce qui n’est plus, mais elle en a pris la place avec une volonté de faire mal à laquelle on ne se trompe pas, du fond d’une solitude où l’on tente de se reconstruire sur des ruines. Oui, nous savions tout cela l’un et l’autre, et nous en avons discuté à voix retenue, chacun disant sa peine sans penser qu’il allégeait celle de l’autre mais écoutant l’autre la dire, et au bout du compte comme disait mon cher Marivaux, il est né une douceur certaine de cet échange où de part et d’autre se maîtrisaient les larmes.