UN, DEUX, TROIS RENOIR
C'est tout à fait par hasard que j'ai revu Le Déjeuner sur l'Herbe. Je venais de revoir - volontairement cette fois - Le Crime de M. Lange et j'y avais retrouvé ce que je venais chercher, les maladresses, les outrances, les naïvetés, le "joué théâtre" ainsi que l'atmosphère d'humanité Front populaire dont j'avais conservé le souvenir. Une annonce signée Renoir m'avait retenue sur place : après avoir traité tant de sujets sérieux, le réalisateur désirait se consacrer au burlesque. Or vous savez peut-être que la vis comica est un gibier que je débusque sous toutes ses formes, et que d'autre part je tiens Elena et les Hommes, non seulement pour l'un des chefs d'oeuvre de Renoir mais même pour l'un des dix meilleurs films que je peux revoir sans cesse. Le Déjeuner sur l'Herbe :était loin de m'avoir laissé un souvenir impérissable, celui plutôt d'une médiocrité difficile à défendre, avec beaucoup de belles images de Provence et celle d'un vieux chemineau fidèle à Pan, bouc aux cornes enroulées tenu en laisse et flûte orgiaque déchaînant des tempêtes. Mon espoir de trouver une source inexploitée de jouissance esthétique dans ce paganisme coloré n'eut pas la moindre occasion d'y germer. C'était grotesque à force de burlesque, c'était banal en se voulant original, c'était pratiquement lamentable de bout en bout, même si la campagne d'insémination artificielle pour toutes annonçait grosso merdo, comme dit l'un de mes amis, les avancées de notre actualité. La dérision de la classe bourgeoise et de ses programmes de profit n'atteignait pas la dénonciation, l'intrigue (aussi farfelue que dans Elena et les Hommes mais sans la moindre finesse) s'étirait sans complexité, l'interminable scène de déchaînement orgiaque n'avait rien de la magnifique conclusion en valse lente qui enivre les couples tandis que Juliette Greco chante à la nuit sur un ton désabusé. Mon jugement s'est même durci pour cette deuxième vision. Du Pagnol de bas étage, un peu bêtifiant, retour à la terre en croyant filer une grande idée... J'aurais mieux fait d'aller me coucher.