Vous vous dites déjà : "Allons bon! elle va recommencer à user ses titres jusqu'à la garde!" (au passage, dois-je dire la
garde, évoquant l'épée, ou la gauche, évoquant le contexte politique, ou la lie, évoquant les restes pas toujours ragoûtants des fonds de tonneaux, sauf - si par exemple ça se trouve être du
Volnay ou de l'Echézeaux - quand ils sont irremplaçables pour le coq au vin, ou même la corde, évoquant l'usure ou la pendaison par désespoir? J'hésite là-dessus, pour une fois je vous laisse
juges, chacun complètera selon son inspiration ou sa préférence). Mais justement : quand une idée est bonne il faut la garder. Vous avez vu ce qu'on peut faire avec la climatologie? avec le
pronom? Croyez-vous vraiment que nous ne pourrons pas faire de même avec le personnage (encore lui!)? Donc, je prends votre silence pour une acceptation enthousiaste et on continue à foncer
de conserve (mais toujours - n'oubliez pas que j'ai fait autrefois mes humanités, comme on disait - en fonçant à la manière des sages Romains : "festina lente", hâte-toi lentement, c'est
peut-être ce qui a fait dire à Astérix en imprudent jugement téméraire "ils sont fous, ces Romains". Je vous assure que c'est faux, je les connais bien, ils ne sont pas fous, même s'ils ont
confié les rênes de leur char à Berlusconi). Bon. On retourne au personnage.
Ne vous fixez jamais sur une idée toute faite, une idée reçue dirait le grand Gustave (pas Le Clézio, oh non, mais Flaubert : vous connaissez
forcément si vous avez été en première au lycée). N'allez pas encombrer votre plan de roman (si vous voulez en écrire un et que vous faites un plan préalable - libre à vous, moi je n'en fais
jamais, mais en confidence et malgré mes airs pontifiants vis-à-vis de vous je ne suis pas forcément un modèle à suivre) par des fantoches disposés comme des soldats de plomb sur un champ de
bataille : le père, la mère, la soeur, le petit frère, la vieille tante - ça ferait louper votre entreprise, surtout si vous y ajoutez l'ami traître ou dévoué, la jeune fille douce et fidèle, le
patron de la jeune fille (car elle travaille, de nos jours on travaille même quand on est une jeune fille, c'était beau autrefois de faire de la dentelle en attendant le prétendant fortuné,
aujourd'hui elle travaille dans un bureau, elle est donc offerte à la convoitise lubrique du patron - ah! ce patron, si vous avez l'intention de le placer sur votre reconstitution historique, je
vous laisse libre, ça vous regarde, moi je ne m'en mêle pas). Pourquoi serait-elle loupée, l'entreprise? mais parce que vous n'auriez pas laissé le temps à vos personnages de venir jusqu'à
vous, de vous gêner aux entournures tant que vous n'auriez pas pris conscience qu'ils étaient en train de se façonner, de se modeler, de se construire au fond de vous, tant que vous n'auriez pas
ressenti ce processus secret comme une gestation. Il y a toute une phase de la vie du personnage dont vous n'êtes pas responsable, celle pendant laquelle il prend forme. Un beau jour
vous croyez que vous venez d'avoir une idée de personnage qui ferait bien dans votre plan d'ensemble, même si au départ vous ne lui aviez pas réservé de place : mais ce n'est pas une idée, c'est
lui qui se fraie un chemin jusqu'à vous, encore un peu brut de décoffrage mais déjà présent. Laissez-le venir, et surtout ne commencez pas à vous rengorger d'avoir eu une si belle idée
: il pourrait se venger en se chosifiant, ce n'est pas pour vous le moment d'intervenir, laissez-le prendre ses habitudes à l'air libre, n'allez surtout pas lui imposer votre pesanteur et votre
rigidité dès les premiers moments d'existence commune. Bon. Le voilà qui vit, laissons-le se reprendre jusqu'à demain. Belins-belines, reposez-vous bien, prenez des forces, nous ne sommes
pas encore arrivés au bout de notre sillon. Bonjour au chat, à tous les chats du monde dont une telle proportion sont malheureux et misérables sans espoir de sauvetage ni de soulagement. A
demain. Je vous parlerai de mes chats une autre fois.