Bon. On attaque, si bien sûr vous avez prêté attention à mes avertissements d'hier (sans frais d'abord : c'est après que l'amende tombe). Vous êtes donc soit ici, résolus à me manifester un peu plus de respect et d'intérêt (parce que vous avez enfin compris tout ce que je vous apportais d'utile, aux uns et aux autres), soit ailleurs, me laissant à mon destin solitaire et nous ignorant, moi et mes efforts, superbement : donc soit vous êtes en mesure de suivre, soit vous êtes en dehors de mon orbite et du coup je retrouve ma liberté pleine et entière. On va donc pouvoir avancer quelque peu, moi en tête comme de juste, vous derrière (et tâchez de faire silence et de ne pas demander des renseignements aux copines : si vous n'avez pas bien compris, un mot, une phrase, la portée générale de ce que je développe, il n'y a qu'à moi que vous devez vous adresser. Vous levez la main, c'est bien facile, je m'interromps, je vous renseigne aussitôt. Rien de plus simple et ça se passe en silence et sans désordre).
Le personnage une fois défini comme l'attrait essentiel de l'histoire (soit seul, soit en couple, avec ou sans fissure entre ses deux éléments constitutifs) doit être
entouré de figures variées qui n'ont pas besoin d'être définies plus concrètement que lui, en ce qui concerne leurs couleurs d'yeux ou de barbe. Ces détails-là, n'étant pas des détails de
l'Histoire comme on l'entend dire parfois, sont sans importance. Seules comptent la sympathie ou la complicité dont ils l'entourent : ces accompagnements affectifs plus ou moins développés vont
permettre au personnage d'exposer des aspects de sa personnalité qu'on n'aurait pas connus par la simple représentation du couple. Ainsi la réserve de Marrain vis-à-vis de la Mère dont il craint
un peu l'attitude de froideur envers Jeanne l'entraîne à un comportement spécialement précautionneux qui colore et nuance la scène de présentation de l'une à l'autre; il y aura toujours
chez lui, sauf à partir de la rupture avec sa famille, un embarras qu'il tâchera de dissimuler mais qui restera comme un frein dans ses effusions. Au contraire, avec le Père une fois qu'il sera
au courant de la parenthèse avec Antoinette, va se développer une entente secrète qui leur apportera une certaine jovialité, car ils partageront un secret de gaillardise propre à les faire
sourire et se sourire. De même, pour affiner les comportements de Jeanne, sa merveilleuse complicité avec son père - jusque dans leurs options philosophiques - tout heureux de deviner que sa
passion pour Marrain est sans limite. Ainsi cet entourage familial servant d'arrière-plan au personnage, soit dans son individualité, soit pris comme couple, ajoute comme une
frange de précisions affectives qui constitue le personnage comme "round character" et non comme "flat character" (quand je vous parlais de personnages en carton installés tout d'un coup sur
votre chantier comme vous poseriez des soldats de plomb dans un contexte de bataille historique, vous voyez bien que je reprenais à mon compte et selon mes propres métaphores les enseignements
des grands critiques - ne me dites pas que vous ne vous attendiez à rien de pareil de ma part! suis-je donc si bas dans vos estimations de ma valeur?).
De la même manière, la complicité instinctive entre Leni et son père (lui-même muselé dans son autorité de père de famille de treize filles alors que sa femme
et la mère de sa femme commandent avec mesquinerie) ajoute à son personnage juvénile une frange de délicatesse et d'intelligence à demi-mot qui donne de la pulpe à leurs entretiens. Qu'est-ce que
je pourrais bien faire pour en donner aux miens et vous attacher à moi? A demain.