23 septembre 2009
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On peut s'en prévaloir ouvertement, par les titres des recueils de nouvelles qu'on publie et par la
conception même des sagas - en théorie histoires claniques sur au moins deux générations, si pas trois - ou au contraire paraître la négliger avec dédain pour se concentrer sur le nombril de
l'individu ou éventuellement, avec effort, sur les avatars du couple (auquel cas à mon avis il manquera toujours un arrière-plan explicatif des hauts et des bas du développement sentimental, s'il
existe vraiment) : en toute vérité on ne peut nier à la famille son importance comme thème de recherche dans l'écriture romanesque ou sur la scène, et j'ai toujours plaisir à constater que même
dans les intrigues, déjantées à l'occasion, dont l'enchevêtrement constitue le scénario même de mes chers Eastenders, la famille est la base de toutes les histoires. On le proclame
fébrilement pour arriver à regrouper les membres séparés par des convulsions intestines : "We're family, don't forget it" ou tout aussi bien on le rappelle pour exclure certains témoins
accessoires (brus ou gendres, beaux-frères, voire cousins) qui jugeaient normal de s'agglutiner aux réunions où se discutaient les questions de l'urgence (par exemple, doit-on ou non accepter en
catimini le retour après cinq ans de l'une des filles qui, convaincue d'avoir tué son beau-père, a fui au Brésil au lieu de passer en jugement) : "You're not family, please leave us". Si je suis
pleinement d'accord avec un tel intérêt pour ces relations, qui se révèlent aussi essentielles à l'intérieur de regroupements ethniques dans cet Est londonien populeux et grouillant (par exemple
chez les Pakistanais, où il n'est pas question d'admettre un gay en son sein : quand on découvre les tendances de l'aîné c'est une affaire déchirante à régler dans le chagrin - ou au coeur d'une
communauté noire dont la foi religieuse soude tous les membres), je me réjouis fort de voir comment sont boutiquées lesdites familles. La manière dont elles sont recomposées dépasse l'imagination.
Les père et mère qui depuis des années attendent dans l'impatience de divorcer chacun de son côté amènent au pot familial qui deux enfants de deux pères différents, qui trois filles issues de deux
mères différentes; avant l'issue des procédures de divorce, ils ont déjà procréé deux ou trois fois. Dans une autre famille où deux ou trois divorces égayent l'arrière-plan, les rejetons proclament
leur filiation par la couleur de leurs cheveux, il y a les rouquins et il y a les noirauds. Le pompon revient quand même à l'inénarrable famille du bar placé sous la protection de la vieille reine
Victoria : ce sont tous des adultes, au moins la quarantaine, eh bien la réapparition d'une soeur ou d'un frère entraîne des remous considérables, car sur les cinq (jusqu'à présent je n'en compte
que cinq, mais on n'est jamais à l'abri d'un coup de théâtre) un quinqua plus quatre femmes plus que délurées entre quarante et trente, il doit y avoir trois pères à l'origine pour la seule
tenancière du bistrot toujours gaillarde, et les divorcés de tout sexe donnent lieu à des combinaisons de figure hautes en couleurs. C'est paradoxalement une manière d'imposer la suprématie de la
cellule familiale : on n'est pas obligé de prendre ces exemples comme modèles, mais on s'ennuie moins qu'avec un petit roman sur les variations du nombril, même si pour l'auteur ledit nombril est
devenu l'omphalos de l'univers. A demain!
Lucette DESVIGNES.
Lucette DESVIGNES.