Aujourd’hui il pleut et il fait du vent, ce qui fait mentir ma condition de reprise du sujet mais tant mieux. Je le reprends, car il suscite chez vous sans doute un certain intérêt : vous aimez peut-être Mr Bean (moi je le déteste mais il en faut pour tous les goûts) et très certainement vous connaissez Terry Thomas, perdu avec de Funès dans les vapeurs des bains turcs de « la Grande Vadrouille » et qui, lorsque la mère supérieure des hospices de Beaune se penche sur son lit du Moyen Age dans la salle des malades en lui disant « Dites trente-trois » répond à voix basse « Thirty-three » pour lui faire dire « Ah ! je vois ce que c’est ! ».Et Hugh Laurie aussi vous connaissez, ce grand fada britannique qui ne sourit guère et qui, je crois, a incarné Dr Who il y a peu… Donc je pars du principe que vous les connaissez, et je voudrais insister sur un point commun important à toutes ces séries déjantées, chacune dans son style et son genre : alors que les USA (qui se sont emparés de cette inépuisable mine pour en faire leurs sitcoms dont certains visent à faire rire) ont amené leurs héros à reproduire l’humanité américaine, les Britanniques au contraire ont rompu tout lien affectif entre le public et les personnages qui le font rire. On n’a aucune pitié pour les héros minables ou cinglés qui se mettent d’eux-mêmes dans des situations inextricables ou qui s’autodétruisent sous nos yeux, car ils sont lâches ou menteurs ou voleurs (oh le Père Ted qui a volé les fonds de la paroisse, et son vieux collègue qui ne dessoule pas…) et nous pouvons les regarder sans jamais appliquer d’eux à nous le moindre transfert affectif. Il y a une évidente cruauté de voyeur dans le regard du spectateur de ces séries télévisées britanniques, d’où le caractère sans mélange du comique. « Allo ! Allo ! » par exemple, qui reconstitue (avec quelle liberté et quelles invraisemblances !) la vie d’un bistro de campagne français pendant l’Occupation et qui admet joyeusement des grimages et travestissements impayables dans des situations ahurissantes (un exemple : deux résistantes en béret dépouillent de leurs vêtements deux sous-officiers allemands qu’on enferme dans un ^placard pour pouvoir en habiller deux aviateurs de la RAF qui ont atterri dans un poulailler) colle volontiers les fausses moustaches à l’envers, surtout sur les dames dont les bouches maquillées continuent à être aussi pulpeuses que jamais…Aucune adhésion n’est possible, ce qui donne au comique une dureté mécanique irrésistible : voir la prétentieuse Hyacinth s’effondrer une douzaine de fois dans un buisson en passant près d’une vieille épave où loge un chien aboyeur et.. . en redemander, voilà un tour de force de complicité du spectateur qui ne se réussirait pas de ce côté-ci du Channel…