Car je peux vous en parler : je le fais sans arrêt dans des actions similaires et j’ai l’antériorité pour moi. Pour cette dénonciation publique j’avais donné la parole à deux jeunes gens sympathiques qui dans mon roman passaient leurs week-ends à nettoyer bénévolement les ruisseaux et petites rivières de nos campagnes engorgés par les déchets de toute sorte de notre société de consommation : ces mêmes jeunes gens, l’un de mes critiques osa les traiter de « sinistres individus » parce qu’ils s’attaquaient à la grammaire qu’ils refusaient de respecter davantage que la société qu’elle représentait et servait. Il est de fait qu’ils avaient une conception spéciale de la grammaire et du vocabulaire, mais leurs dénonciations tranquilles des vices de la civilisation faisaient mouche – c’est peut-être ce qui avait gêné le critique… En tout cas le roman dénonçait déjà cette condamnation par notre société, condamnation secrète et imparable, à la contamination et à la destruction qui frappait les familles des nettoyeurs nucléaires (il en faut, paraît-il, puisqu’il nous faut du nucléaire) et nous les utilisons sans égards pour leur qualité d’êtres humains, comme des cobayes – voire pire : comme des torchons pour nettoyer nos saletés. Et vous allez dire que je me répète, mais le sort de ces martyrs muets me rappelle douloureusement celui que nous offrons d’autre part aux misérables d’Amérique centrale, poussés par la détresse à accepter (avec le SMIG doublé, quel luxe !) de trier les ordures et déchets toxiques ou hospitaliers sur les énormes péniches-poubelles qui se traînent à ciel ouvert d’un port où on les repousse à un port où on les rejette, emprisonnés au milieu des ordures parfois fumantes, y passant leur embryon de vie, sachant qu’ils ne termineront leur croisière que pour être jetés aux requins du golfe mais heureux de penser que la veuve va toucher l’assurance-vie qu’ils ont souscrite en acceptant la promenade. Au fond, c’est un déroulement tout ce qu’il y a de logique à partir du moment où on accepte la répartition des individus en exploiteurs et exploités. Je n’ai pas besoin de vous chercher la page, vous aurez la citation dès demain.
