Moi qui (pardonnez-moi d’entrer dans la course de manière aussi tonitruante) moi qui, mes belins-belines, m’étonne discrètement mais très authentiquement d’être encore là, témoin de mon temps, dès qu’il est question pour moi d’écrire la date (une lettre, une signature de chèque…), je m’étonne de la malléabilité qu’on lui prête, à ce temps qui nous est fourni en vrac et dont chacun de nous a sa vision personnelle et sa perception subjective. Qu’on lui demande de suspendre son vol ou qu’on le sente se traîner, qu’il file entre les doigts ou que les aiguilles de la montre paraissent bloquées comme si le verre les coinçait sur place, c’est sans doute, de tous les paramètres inconnaissables, de toutes les abstractions inévitables, le plus subtilement tyrannique, le plus désespérément invisible, le plus imparablement privé de sentiment qui soit. Mieux que quiconque, il devrait avoir le droit de dire « Je suis celui qui est ». Et il est un moment – un bref instant – où il me semble qu’il n’est plus, et depuis que je l’ai découvert je le recherche souvent, par provocation ou sens du mystère. Mon réveil a de gros chiffres qui s’articulent par le travail intelligent de leurs digits, et lorsqu’il arrive à indiquer ce qui suit 23h59 il bascule dans un jour nouveau. Pas sans une pause, toutefois : pendant cinquante-neuf secondes il marque 0.00, c’est là qu’il faut être présent et méditatif, car alors officiellement le temps n’existe plus. En vérité on en a l’impression : aboli disparu rayé de la carte. On se sent étrangement libéré, étourdi, perdu. Avec l’impression qu’on recommence à exister dès que se forme sur l’écran l’heure nouvelle, 0h01.