« Il est un air pour qui je donnerais / Tout Rossini, tout Mozart et tout Wèbre.. », disait avec mélancolie ce cher Nerval (c’était tout de même bien avant de se pendre à la lanterne ; même s’il se promenait peut-être déjà dans Paris avec son homard au bout d’une laisse, il avait encore une bonne partie de ses esprits ) – et pourtant donner tout Rossini, tout Mozart et tout Wèbre, cela faisait beaucoup à l’époque : c’est un petit peu comme si de nos jours on donnait tout Debussy, tout Ravel, tout Fauré pour « Yellow Submarine » ou « J’entends siffler le train », voire tout Janacek, tout Prokofiev ou tout Chostakhovitch pour « Ma cabane au Canada » …Dites un peu là-bas au dernier rang, j’entends qu’on souffle « tout Schoenberg, tout Boulez, tout Stockhausen, allez zou ! du balai ! » : c’est malheureux tout de même que pour une fois que vous avez l’air de connaître quelque chose ce soit à seules fins de dénigrement ; je ne vous colle pas cette fois-ci mais je ne vous fais pas mes compliments, prenez l’habitude d’écouter avec respect même si vous ne comprenez pas, musique ou discours tout le monde en est là, vous savez. Pour en revenir à ce cher Nerval, il aurait tout donné pour en faire à sa guise. Eh bien moi je vous assure que je le comprends. Ainsi par exemple, que ne donnerais-je pas ce soir – tard, c’est exact, vous avez le droit de m’en faire la remarque - pour pouvoir dire que mon sacerdoce quotidien se borne à un haïku ou deux, et même trois pour faire bonne mesure ? (Nous négligeons là, certes, et délibérément, l’intensité de la concentration nécessaire, pour ne voir que l’aspect de brévitude du produit : trois lignes de rien du tout, ni rime ni rythme, à l’aide de quelques regroupements de lettres c’est torché). Je vous dirais par exemple ; « L’escargot lentement / déploie ses ailes / au soleil ». Ou bien « O feuilles / Sans parachute / Où irez-vous ? ».Ou encore, pour le bon poids : « Luminescent / le ver luisant / dans l’adolescence ». Mais, mes belins-belines, nous n’avons pas vous et moi passé contrat pour de la poésie, je dois donc m’en tenir à notre routine habituelle. Cette petite ex/incursion dans le domaine poétique doit seulement vous faire regretter que le haïku ne soit pas inscrit à votre programme : voyez, mes agneaux, tout ce que vous perdez…
