Même si l’on discute avec des gens assez cultivés pour saisir les différents niveaux de lecture et d’écriture de ce qu’ils lisent, il reste – et cela m’attriste quelque peu – qu’ils ne donnent pas souvent au roman la place impériale qu’il mérite. Je pense qu’on doit voir là, si content qu’on puisse être de se trouver en face de gens qui lisent, les traces indélébiles de l’action de Pivot avec ses fameuses « Apostrophes », si fameuses et bien vues qu’elles empêchaient toute autre forme de critique littéraire, voire tout simplement de campagne intelligente pour la lecture. Régis Debray en ses beaux jours a fait et répété de ce phénomène national des analyses assez judicieuses et percutantes pour que je n’y revienne pas à mon tour, mais si le livre a, du fait de ces émissions et parce que c’en était la mode, conquis – reconquis peut-être – ses lettres de noblesse commerciale et sans doute une place dans le quotidien de maint spectateur de télévision, la hiérarchie des œuvres présentées n’a jamais figuré au sommaire des préoccupations du célèbre plateau d’Antenne 2. Histoire, biographies, confessions, essais, traités philosophiques ou pédagogiques, économie ou banque, réflexions sur le sport, ou la maladie, ou l’éducation, ou la gastronomie … tous ces genres étaient bien plus faciles à traiter que le roman, sur la valeur duquel il était inévitable de devoir s’engager : or s’engager dans le domaine littéraire – pour encenser ou démolir – était dangereux pour le critique, de l’avis même du meneur de jeu au centre de ses invités. Par conséquent, non seulement il ne se compromettait pas dans ses jugements mais il évitait d’avoir à se prononcer, préférant de beaucoup les jeux de cirque qu’offraient souvent les bagarres pas toujours à fleurets mouchetés entre adversaires campant sur les mêmes tréteaux : le spectacle était toujours préféré à l’approfondissement d’un style ou d’une écriture. Si bien que si le livre a certes été remis en selle, la littérature, elle, est restée en souffrance. La mode des biographies prolonge cette désaffection pour la chose littéraire : on veut du document, de la vérité donc de la véracité. On a tendance à considérer comme la parente pauvre du récit, à la limite comme un ornement négligeable, l’imagination qui permet par définition au roman de se tenir debout. Vous pensez bien que je ne veux pas en rester là avec vous, mes belins-belines ! A plus……..