Vous savez sans doute ce que c’est que cette impression de fin, de conclusion définitive, de disparition de sentiments ou d’émotions qui ne reviendront plus jamais, ressentie tout à la fin d’un spectacle dramatique, lorsque le rideau tombe ou se referme avec lenteur, avec solennité, avec regret, comme pour mieux vous donner le temps d’éterniser quelques secondes de plus cet émoi sui generis si rare. Mais vous savez aussi qu’immédiatement après, lorsque le rideau est retombé ou s’est refermé, l’impression qui domine est celle d’un arrêt, d’une privation, d’une spoliation – presque d’une mutilation. Rétrécissement de l’horizon. Diminution de l’ensoleillement. Retour à la solitude oubliée durant le spectacle… J’en suis là, et cela dure depuis quelques mois. Rétrécissement de mon champ de manœuvre, abandons de projets de voyages lointains. Renonciation à tout ce qui avait servi à occuper ma ligne de mire depuis des semaines, depuis des mois… Et pas seulement du fait de mon impuissance personnelle : il semble que tout s’en mêle autour de moi. Les amis qui abandonnent un projet partagé, les amis malades, gravement, qui malgré leur désir d’en découdre ne pourront pas vous accompagner… Les abandons de projets ou d’activités qui ne dépendent pas de vous mais qui vous avaient prise comme centre : publications, contacts, salons, rencontres diverses – paf ! tout cela s’arrête, d’un coup, et ce n’est pas de votre bon plaisir que cela vient, cela vient de l’extérieur, c’est inattendu, c’est même difficilement explicable. Je pense à ce poème qui m’obsède : « Noire est la nuit, d’un noir profond et sans fissure. / Paroi brute, métal glacé, falaise dure. / Le noir ruinant la vue est tombé devant moi, / D’en haut, je crois, en couperet. D’en haut, je crois. » S’ébrouer, comme un chien qui vient de traverser un ruisseau à la nage. Oui, s’ébrouer. Lundi cela ira mieux….
