Je me demande si, derrière l’extension et la variété toujours plus grandes, toujours plus performantes, des expériences des scientifiques qui en laboratoire tentent de reconstituer ce que fut la réalité des êtres de millénaires nous précédant, il ne couvait pas un macabre instinct de curiosité qu’on devine sans limite et sans contrôle. J’avais déjà vu deux ou trois fois ces reconstitutions de visages à partir de simples crânes : des mesures osseuses, de la forme des orbites ou des mâchoires, de la place des pommettes voire du trou béant qu’était le nez, il semble facile pour les artistes en visages de déduire quel aspect la physionomie pouvait revêtir du vivant des ossements. J’avais toujours trouvé le travail intéressant mais assez peu crédible – j’y crois davantage lorsqu’il s’agit de Lucy ou de ses contemporains ou assimilés, car alors il s’agit de mettre en lumière l’évolution de l’espèce humaine en étudiant le prognatisme de la mâchoire, la forme du front , la configurationt des orbites etc. L’application en quelque sorte esthétique de cette science de la reconstitution des tissus faciaux me laisse sceptique. Hier, redonner vie à des crânes de Pompéiens était certes une entreprise fascinante, mais comment adhérer totalement à la vérité d’un visage de superbe demoiselle de petite vertu ou de celui d’un homme dans la trentaine épanouie ? Rien ne nous garantit que, tel un metteur en scène de notre époque, le savant modeleur n’obéit pas à ses propres fantasmes, à ses obsessions enfouies ? Je crois davantage à la reconstitution d’un squelette de brontosaure à partir de sa clavicule gauche…