Tout à côté de cette monstruosité que mon voisin bâtisseur s’obstine (avec l’autorisation de l’urbanisme qui lui a délivré ce permis de construire) à appeler modestement garage et dont le faîte arrive strictement à la hauteur de ma faîtière, s’épanouit un seringat magnifique. Une profusion de fleurs blanches en forme d’étoiles – c’est leur saison, elle embaument – permettrait, avec un peu de bonne volonté, d’adoucir le tranchant du regard, d’éviter de s’attarder sur la charpente déjà mise en place et consolidée, de détourner les yeux de ces parpaings qui vont très bientôt être agrémentés ( !) de tuiles – oui, oui, des tuiles bourguignonnes, et j’espère bien qu’elles seront vernissées et permettront sur chaque pente de toit des décorations à la flamande comme du temps des ducs de Bourgogne. Ce seringat se trouve, par la nécessité des constructions actuelles, un peu coincé dans l’angle de la propriété voisine, mais semble du même coup, par protestation, s’affirmer dans une opulence rarement vue. Je ne peux le voir depuis mon perron, à cause de ce mur qui me prive d’horizon ; mais je vais l’admirer en dehors de mon jardin, et j’aime qu’il proteste – c’est très évident, car lui aussi est sacrifié, d’avoir ainsi perdu une telle proportion de son espace vital. Je sais que cette floraison superbe m’est due : c’est moi qui, il y a vingt ans, ai donné à ma voisine de naguère un beau rejet qui ne demandait qu’à croître et embellir. Il serait noble et de bonne guerre (quelle alliance de mots insolite !) que je me sentisse apaisée, en constatant que mes voisins m’ont rendu le mal pour le bien mais que c’est moi qui ai le beau rôle. Eh !bien croyez-moi, je ne ressens que regret…