1 avril 2010
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Une petite histoire que je retrouve dans mon journal à la date de 1996 : si je vous la donne ici c'est pour vous rappeler les pratiques d'un autre âge, car il est bien
évident que de nos jours ça ne se passe plus comme ça... Nous étions à Turin, chez les Messina, et Nino, le grand chirurgien spécialiste des opérations de la main, reçoit une lettre des
Entretiens de Bichat, qui porteront sur sa spécialité et en particulier sur le Dupuytren. Depuis de longues années il est reconnu comme la grande autorité. Dans tous les congrès
internationaux ses communications sont attendues, suivies avec passion comme des avantages irremplaçables dans le progrès du traitement. Seuls les Français, bien sûr, le snobent (est-ce que
Dupuytren n'était pas français, dites-moi un peu? à la niche, les mangeurs de spaghetti!). On lui refuse une communication, une publication, on fait la fine bouche, bref on se protège par le
protectionnisme national en vigueur dès qu'il s'agit du domaine intellectuel ou scientifique. Résultat : Nino publie aux USA ou en Grande-Bretagne (oui! même là, c'est tout dire), on le sollicite
de partout, Amérique du Sud, Lithuanie, Pologne, Allemagne, on l'associe à de grands centres de recherches où on attend ses directives, peut-être même sa direction, avec dévotion. La France,
assise sur ses atolls, regarde avec obstination la ligne bleue des Vosges - frontière de l'amour-propre, rempart de l'establishment des cerveaux, ah! mais dites donc. Tout de même, de constater
que les articles dédaignés ont été publiés au niveau supérieur par les USA, avec bien sûr une diffusion unvierselle dont les échos viennent battre la Thébaïde de Turin et y entasser leurs
fertiles sédiments, cela finit par émouvoir Bichat. Et voilà que cette mise en branle tardive et maussade se manifeste par une invitation au Congrès... Nous avons ri tous les quatre, au petit
déjeuner, et nous avons évoqué en corollaire Deloffre vis-à-vis de mes découvertes sur Marivaux, Ricatte et Compagnie vis-à-vis de mon analyse du "Hussard" : tout ce qui vient des autres,
création compétence trouvailles intelligence, est inexistant; seul existe leur Grandeur. Quand on reconnaît que leurs jugements étaient erronés, perfides, mesquins, faussés par leur désir de
rester la grande autorité et la crainte que les nouveaux venus ne soient des maître capables de les détrôner, c'est trop tard : les nouveaux venus n'ont pu, en leur temps, émerger, peut-être
seulement survivre... Les plus hauturiers d'entre eux se sont détournés d'une voie pourtant faite pour eux et ont dans les embruns cinglé vers la pleine mer. Ce qui finalement était la
chose à faire. Mais ne vous attristez pas de cette histoire ancienne : il y a belle lurette que tout est changé dans les dispositions des pontes.
Lucette DESVIGNES.