15 novembre 2012
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J’ai parfois l’impression que je
tire d’un chapeau nos sujets d’entretien, mes belins-belines – que dire alors de l’impression que vous en avez vous-mêmes ? C’est que, voyez-vous, j’ai si peur de vous raser, en vous
imposant l’ennui que vos amis ou connaissances vous réservent en faisant défiler devant vos regards meurtris et ensomnolés leurs photos de vacances (ou du mariage de leur fille, ou de la première
communion de leur benjamin) : ce serait terrible… C’est donc, sauf si je me suis lancée dans un chapitre à rallonges qui nécessitera plusieurs interventions sur le même sujet, une volonté de
toucher à des topiques différents : nous venons d’avoir Mitchum pour les amateurs de cinéma américain (ou pour mieux dire de cinéma tout court), puis un aperçu de mes activités personnelles
(mais je n’ai pas abusé, me semble-t-il), donc pourquoi pas un peu de grammaire aujourd’hui ? D’autant que le sujet m’est fourni par un prospectus qui, ne soupçonnant aucunement qu’il puisse
y avoir un problème d’orthographe, m’incite à boire son café « quelque soit le montant de la commande » ou « quelque soit l’occasion de se faire plaisir ». J’ai envie de
décliner « quel que soit le montant », « quelle que soit l’occasion », « quels que soient les montants », « quelles que soient les occasions » en pensant à
mes fidèles de la dictée 2013, car bien entendu ils en auront, des « quelque que », et je sais qu’ils le savent, et je sais que plus de la moitié de leur nombre fera la
faute…
lucette desvignes
14 novembre 2012
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Lorsque, maintenant, on me
demande si j’ai quelque chose en train, un gros roman, une saga peut-être, ma première réaction est d’imaginer qu’on se moque. Ce n’est certes pas que je manque d’idées, ni que mon potentiel de
fabriquer des intrigues où chacun aurait sa place et son rôle à jouer soit en diminution (en digne accompagnement de la tombée de la nuit jour après jour plus en avance sur le cadran – mais,
dites donc, de toute façon après la sainte Luce les jours recommencent à prendre du poil de la bête, oui ou non ?). C’est seulement qu’en ce moment j’ai trop à faire à classer et trier mes
réserves. Tenez, rien que pour les nouvelles…J’en ai dans tous les azimuts, peut-être même dans tous les genres. Une fois regroupées selon affinités (et plus, avec un peu de chance), c’est déjà
si volumineux que c’en est décourageant. Et pourtant chaque éventail de tonalités mérite le détour, comme le signalent les étoiles au Michelin. Un recueil pour l’Italie, du rire à l’émotion, de
la fantaisie au malaise. Un recueil pour l’humour, de la famille au spectacle, du voisinage à la presse. Et puis un recueil qui s’intitulerait
Pas toujours simple, la Vie à deux - les crises, l’ennui, les entorses, les ennemis tapis dans l’ombre…Plus de personnages que dans une saga
limitée à une ou deux familles, plus d’intrigues ou de faits-divers, plus d’affrontements encore que dans le huis clos d’un groupe tribal : avec la faculté d’en écrire encore des pages et
des pages, pour approfondir, pour distinguer, pour récrire… J’aime aussi tellement l’écriture des textes courts ! Ne m’empêchez pas d’y céder de temps à autre pour attendre le
printemps !
lucette desvignes
13 novembre 2012
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Il y a quelque chose comme une irrésistible puissance dans la démarche pesante d’un Mitchum. J’y pense parce que je
viens de revoir (sauf pour le premier film dont j’ignorais tout, paré d’un titre à la fois racoleur et, comme il fallait s’y attendre, annonçant surtout la médiocrité, à savoir, «
ça commence à Vera Cruz ») une brochette de productions variées – Don Siegel, Tourneur, Preminger – qui ont chacune utilisé au maximum les
capacités de « rendement » de l’acteur. Je ne vous cacherai pas que Mitchum figure au panthéon de mes divinités, aux côtés de Gary Cooper et pour d’autres raisons dont toutefois les
caractéristiques physiques ont pris le pas sur le reste : impossible d’être plus virils que ces deux-là, qui ne sauraient se départir l’un de son élégance, l’autre de sa force. J’ai eu
l’occasion, quelques centaines de blogs en amont je crois, d’évoquer à propos du rôle du corps dans la gestuelle des comédiens cette magie émanant du dos de Mitchum, force tranquille (et force de
frappe tout autant) reconnaissable entre toutes. Il faudrait parler de sa démarche elle aussi impossible à confondre, puissance confiante en sa
supériorité et souplesse bien huilée, toute la masse se mettant en branle comme avec un soupir – « Allons, il faut y aller, quoi, mais ne savent-ils donc pas que je vais les
écrabouiller ? ». Je ne vous parle ici que de l’allure, parce que c’est d’abord ce qu’on voit et qu’on retient du bonhomme, mais la finesse du jeu, de la parole brève, de la petite
lueur dans l’œil qui paresse à s’ouvrir tout grand, de la résignation à être le plus fort, le plus malin et le mieux aimé – tout cela demanderait un long chapitre. Peut-être une autre
fois…
lucette desvignes
12 novembre 2012
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C’est bien joli de se faire du
souci pour la dégradation imparable de ce qui va inévitablement se révéler en dessous du niveau des pires sitcoms de maintenant. Pour autant il faudrait déjà trier et commenter ce qui nous est
offert par les programmes actuels, y compris les films que nous pouvons regarder en pantoufles et même parfois en robe de chambre, tout prêts à nous
retirer au premier bâillement devant un spectacle par trop médiocre. Tout à fait par hasard l’autre jour, ne voulant point manquer La Fausse Suivante
de Marivaux diffusée à une heure insolite (histoire de comparer avec la version de Planchon, toute d’héroïsme et de panache, d’il y a bien longtemps mais naturellement restée dans mon souvenir),
j’avais ouvert mon poste bien avant l’heure – ce n’est pas gênant : on réduit le son et on prend un bon livre en tournant le dos à l’écran jusqu’au moment où commence votre programme – je
tombe (et, c’est vrai, la chute fut douloureuse) sur une histoire costumée genre Aigle à deux têtes pour indigents : décors minables, jeu
des acteurs minable (que venait faire là Monica Vitti dont la belle voix rauque détonnait ?), intrigue minable, conventionnelle, sans surprise, avec conclusion grandiloquente : l’amant
de la reine ingurgite le poison qu’elle tenait en réserve pour elle et meurt après l’avoir poignardée – ils meurent dans une galerie d’un château forteresse, leurs mains mourantes à dix
centimètres l’une de l’autre sans pouvoir se joindre, les deux corps grotesquement allongés, une escouade de cavaliers se regroupant en fond de tableau pour assurer l’émotion… Je me précipite sur
le magazine de la télé afin de vérifier à qui je suis redevable de ce chef d’œuvre de ridicule : MichelAngelo Antonioni, mes belins-belines…D’où question à cent francs : pourquoi jeter
la pierre à des médiocrités à venir alors que nous célébrons de pareilles indigences ?
lucette desvignes
10 novembre 2012
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Depuis deux décennies au moins,
la mode s’était répandue sur le petit écran de programmes appelés « sitcoms », autrement dit, « situation comedies » - le terme anglais de comedy devant être pris dans une
acception large, car les histoires présentées, toutes extraites de la vie quotidienne, hébergeaient souvent des éléments tire-mouchoirs, querelles de familles, ingratitude des enfants, conflits
de générations, malhonnêtetés entre parents à l’occasion d’un héritage, etc. Autre précision à donner sur la nature de la chose : c’est à partir de ces situations dressant les uns contre les
autres que les intrigues se construisent. EastEnders peut, je crois, être donné comme modèle du genre (et si la série dure depuis plus de 25 ans,
c’est certainement qu’elle a quelques qualités). Précisément les scénarios sont établis avec rigueur et une abondance de possibilités qui étonne : les personnages qui resurgissent ou se
révèlent sous un jour nouveau, les rejetons qui réapparaissent après une fugue de plusieurs années sont manifestement inclus dès le départ dans la réserve des scénaristes – d’ailleurs ils sont
plusieurs lorsque le sitcom est important, spécialisés chacun dans son domaine (les personnages féminins, ou les ressortissants d’une ethnie, ou un groupe familial aux ramifications
complexes : la difficulté sera de donner à toutes ces directions une cohérence nécessaire). L’existence de ces « ateliers » d’écriture pour scénario et dialogue garantit forcément
le niveau de « rendu » final, où l’authenticité, la représentation du vrai, est un élément indispensable. Qu’en sera-t-il du clash avec cette nouvelle et indigente
scénarisation de la réalité, puisque c’est ainsi que la chose va s’appeler ?
lucette desvignes
9 novembre 2012
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Qu’est-ce donc que cette réalité
à laquelle on a donné l’air d’un scénario ? Il s’agirait de séries ou d’épisodes au rabais, où on ferait appel à des acteurs sans auréole ni même pratique du métier, histoire de dignement
accompagner la structure romanesque de l’en- semble qui serait confiée à des scénaristes au rabais (tout ça, paraît-il, parce que nous connaissons la crise et qu’on ne peut pas se payer des
enveloppes hollywoodiennes pour les divertissements des étranges lucarnes – mais je n’étais pas au courant, mes belins-belines, que les responsables de la programmation eussent été si
faramineusement généreux avec leurs subsides avant la crise ! Nous passions déjà pour si miteux…). Toujours est-il qu’en partant de la réalité (une crise familiale, un conflit entre
générations, un divorce, un meurtre) le scénariste désigné pour cette tâche doit réécrire la chose, lui donner sinon une allure littéraire (car il ignore sans doute ce que c’est) du moins un
format de transcription sous forme de lettres et de phrases. Plus ce sera banal, mieux on trouvera que c’est la vérité toute pure. Le style du dialogue, lui aussi, devra se cantonner au niveau
des pâquerettes et ne jamais s’en exhausser sous peine de passer pour hermétique. Remarquez, le problème n’est pas dans la réécriture : j’ai bien lu un jour dans un magazine dit « de
bonnes lectures », sous le titre de « Jeanne R. » et qualifié de « nouvelle », le condensé éhonté du grand roman de
Charlotte Brontë désormais signé de Jeanine Boissard – comme quoi l’exemple ne vient pas d’en haut mais la pratique est avérée si l’art reste difficile. C’est entre invention et copie du réel que
nous allons avoir matière à remarque et analyse, et je ne peux même pas vous garantir que, la matière une fois épuisée, nous serons tellement enrichis…
lucette desvignes
8 novembre 2012
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Une menace plane sur nous,
téléspectateurs du petit écran français. Je ne sais pas encore dans quelle mesure nous serons lésés, mais il est sûr et certain que nous serons attaqués si nous devenons le public de la
scripted reality. « Encore venue d’Amérique ? direz-vous, comme le phylloxéra ? comme la peste des platanes ? Et qu’est-ce que
c’est d’abord que cette marchandise ? » Mes belins-belines, je ne peux vous en dire que le peu que j’en sais, mais je trouve cela très inquiétant. Cette « réalité mise en
scénario » serait la nouvelle mouture des moutures télévisées. Vous savez comme il est déjà malaisé de faire le point sur les délimitations de la fiction et de la réalité depuis une douzaine
d’années : les « docu fiction » nous font prendre des vessies pour des lanternes en mêlant plus ou moins habilement les reconstitutions aux pages d’archives, nous laissant le soin
de démêler le vrai du faux dans les programmes d’histoire tels qu’ils sont de plus en plus souvent présentés. Le roman lui-même, contaminé par cette lèpre affamée de vrai, bascule (si l’auteur le
veut, certes, et pas de manière automatique, par bonheur) dans l’autofiction, où l’on prend dans la vérité personnelle ou familiale ou locale ce qui convient en le faisant passer pour dû à
l’imagination en même temps qu’on fabrique hardi petit ma mie de l’incident, du détail, du fait-divers etc. à quoi on donne les couleurs de la vérité. Cela pourrait s’analyser, au fond, comme
un prêté pour un rendu, mais c’est bien plus complexe, je dirais même vicieux, que ça. Je subodore là une mine de dangers dont il va nous
falloir nous protéger : mes agneaux, je me renseigne et je vous recontacte.
lucette desvignes
7 novembre 2012
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Cueillie comme
une fleur délicate et rare ce matin, parmi d’autres, la réflexion navrée (navrante…) d’un citoyen américain ulcéré de la tournure des choses : « Un pauvre petit noir né aux Philippines
qui passe devant les blancs et les riches de la nation ! » C’est en effet une drôle d’idée que de lui confier l’état sans doute le plus puissant du monde jusqu’ici – moi, c’est la
prétention iconoclaste que je retiens de cette indignation raciste : comment peut-on ne pas
respecter les codes de la tradition blanche dominatrice, comment peut-on oser dire, un jour ou l’autre, « Yes, we can » ? Ce débordement des limites officiellement fixées une fois
pour toutes me paraît s’étendre à divers champs d’examen. Ainsi Miss Marple dont je viens de parler (et dont un de mes fidèles est capable de parler ce matin avec si grande tendresse):
comment peut-elle déborder du cadre des investigations policières limitées à la découverte contemporaine ? qu’a-t-elle à s’intéresser aux cas étranges du passé ? Allons plus loin :
que viennent faire « chez nous », sur le terrain de nos romans policiers ou de nos séries policières, ces étrangers du nord dont on se met à parler abondamment depuis quelque temps et
qui surgissent avec entêtement ? Ces Suédois, ces Norvégiens, ces Islandais même (pensez un peu ! ils sont une poignée sur leur île glaciale et ils se mêlent de conquérir le marché du
polar ! On aura tout vu !). On s’accommodait des productions britanniques ou yankees par la force des choses et de l’habitude, il va falloir se faire à ces nouvelles formules : or,
si l’on veut savoir si elles en méritent la peine, il va falloir s’y mettre et les accepter. Pas d’autre chose à faire…
lucette desvignes
6 novembre 2012
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C’est sans
doute dans la dernière partie de sa carrière – il faudrait le vérifier, mais c’est probable – que Miss Marple se lance dans les enquêtes virtuelles, autrement dit en spéculant sur des mobiles ou
des incidences invérifiables parce que passés, à partir d’un détail concret relevé par hasard. Autrement dit, en faisant fond sur l’imagination, l’intuition, presque la divination, toutes choses
qui éventuellement peuvent avoir leur utilité dans une enquête habituelle mais dont toutefois il serait plus raisonnable de se méfier – « Imagination, maîtresse d’erreur et de
fausseté », disait Pascal (et il disait ça bien avant la constitution officielle des procédures judiciaires et de leur fonctionnement boiteux). Il a fallu du temps pour que l’idée soit
reprise dans le domaine des investigations policières ; mais cela s’est développé, a prospéré, s’est imposé : combien de séries nous amènent à spéculer sur ce qui s’est passé autrefois
– il y a quinze ou vingt ans, voire davantage – pour qu’en résultent un cadavre ou un squelette déterrés fortuitement ? Ces réouvertures d’enquêtes se sont mises à fleurir dans tous les
répertoires nationaux : Cold Case, Affaires classées, Silent Witness, Wake up the dead…Les séries américaines et britanniques surtout se livrent
à ces activités rétrospectives, mais l’Australie ne se laisse guère traîner en remorque : le facteur ADN bien servi par de merveilleuses et
intrigantes machines y joue un rôle prépondérant. Ce sont d’ailleurs, à noter au passage, des équipes bien soudées et bien rodées qui empoignent à bout de bras la résolution des mystères
passés : n’en concluons pas pour autant que le règne des Barnaby, Morse, Murdoch, Luther, Caïn… ait du plomb dans l’aile ! Ce serait une grossière erreur…
lucette desvignes
5 novembre 2012
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Je n’avais pas
pris conscience que Les Enfants du Paradis se fussent mis à la retraite pendant un certain nombre d’années : il y avait toujours moyen, me
semble-t-il, de les retrouver ici ou là, même s’il ne s’agissait pas avec eux des rythmes délirants de programmation dont ont pu être affublés des prétendus chefs d’œuvre de Sir Alfred, si
nombreux, si bien répartis selon les chaînes, que l’indigestion devait gagner le plus résolu des Hitchcockphages, celui doté de l’estomac le plus
accommodant. Mais peu importe, puisqu’ils nous reviennent – et qu’avec eux (puisque les étincelants dialogues sont « bien de chez nous », livrés pour usage immédiat) on n’a pas à se
poser le problème de la fidélité à la langue originale, qui à chaque trahison réalisée par le doublage ôte au film de l’authenticité, du naturel, de l’intérêt – à tel point que les délicats (ou
les ridicules puristes, ou les exigeants à la sévérité hors de propos : j’en suis de toute manière) préfèrent parfois s’abstenir plutôt que de
découvrir une œuvre inconnue si elle n’est pas dans son emballage d’origine. Donc nous allons pouvoir une nouvelle fois (ma huitième ? ma neuvième ?) nous mêler aux badauds du boulevard
du Crime ou du poulailler des Funambules avec le superbe brassage hétéroclite des aristocrates, des paillasses et des bandits en mal de popularité. Ce n’est rien de répéter après tout le monde
que la distribution est fastueuse : je crois bien que chaque acteur a donné ici le meilleur de lui-même, le plus essentiel de son personnage, si bien que sa contribution à l’élaboration
d’une intrigue merveilleusement combinée puis développée est éblouissante. Pareille somme de contributions éblouissantes ne pouvait aboutir qu’à un chef-d’œuvre absolu. Enjoy your movie, à
quelque génération que vous apparteniez. C’est ce soir, ne le loupez pas….
lucette desvignes