On le dit souvent dans le domaine de la poésie : Le premier vers est donné par les dieux. Afin d' éclairer la lanterne de ceux de mes belins-belines pour
lesquels ce serait là une découverte, j'évoquerai cette brutale incitation à continuer l'inspiration : un vers apparaît sur votre écran intérieur, on ne sait pas d'où il vient, mais il a la
sonorité le sens la beauté qui vous conviennent exactement à ce moment précis, vous le dégustez avec délices, vous voudriez en prolonger l'impact, et au fond ce qui s'impose à vous comme seul
moyen de faire durer le plaisir c'est de continuer le poème. Là commence la difficulté. C'était sans doute un autre que vous-même qui avait mis au monde cet alexandrin superbe (il y a toute
chance que ce soit un alexandrin, c'est ce qui se passe chez moi en tout cas, même si par la suite, fidèle au grand Totor, je m'emploie à le désarticuler, ce grand niais), un autre, oui, car vous
n'aviez jamais oeuvré de l'esprit en cette direction, vous êtes le premier étonné de cette association de syllabes si frappante, bref vous êtes ravi du cadeau mais vous ne savez pas trop qu'en
faire. Et même si vous vous mettez en posture d'en faire quelque chose, la fin ne justifiant pas les moyens dans le domaine de la poésie, vous aurez du mal à accrocher derrière cette motrice
séduisante les wagons de votre labeur. Vous voyez où se situe ma métaphore, question niveau.
Mon propos est clair cependant : quand vous recevez (d'où que ce soit, n'analysons rien pour l'instant)cette incitation à bien faire, vous ne pouvez guère rester
indifférent, quitte à vous arrêter rapidement devant l'intensité de l'effort qu'on réclame de vos faibles forces. Ce qui ressort de l'aventure, c'est que l'on vous a distingué, appelé, invité. Je
pense souvent à ce qui constitue le point de départ régulier, assez charmant d'ailleurs, des enquêtes déjantées de "Chapeau melon et bottes de cuir" - autrement dit la fameuse série anglaise "The
Avengers" , par confrontation avec "The Defenders" (où Perry Mason - Raymond Burr dans son fauteuil roulant règle tout par le jeu de la loi) ou avec "The Persuaders", le célèbre "Amicalement
Vôtre" qui fut pendant des décennies le clou des séries projetées sur nos étranges lucarnes. Point de départ régulier, certes, qui fait dire par John Steed dans les premières secondes de
chaque épisode, sur le même ton enjôleur et merveilleusement courtois : "Mrs Peele, we are needed" - "Madame Peele, on a besoin de nous". Mrs Peele ne dit jamais non, et les voilà embarqués dans
les déroulements les plus loufoques qui soient. Voilà, il y a eu invitation.On a envie de continuer. On ne peut pas songer à ne pas continuer. J'essaie toujours de continuer quand j'ai reçu le
don du premier vers. Je n'ai pu me retenir de continuer quand j'ai constaté qu'une nuit d'état second m'avait fait cadeau du début des "Noeuds d'Argile".
La place va me manquer pour de plus longs développements. Je voudrais seulement insister sur la "key note" d'aujourd'hui, sur notre gain (à trier de toutes ces
lignes, mais le travail n'est pas très pénible, si?) sur notre gain quotidien : le début, le départ, de ce qui, avec beaucoup de chance, deviendra par la suite poème ou nouvelle ou roman qui
tiendra debout, tout seul, vous arrive tout à coup (tout par un coup, comme on dit si joliment chez moi) comme une gifle si vous en êtes choqué, ou, si vous êtes réceptif, comme un signe du
hasard, clin d'oeil, appel, offrande... Vous voyez la différence avec l'application à torcher un beau début bien structuré bien gominé qui soigne la ponctuation et les accords de participes...
Bon. Aujourd'hui on a parlé du premier vers, ou des premières pages. C'est mieux que rien, dites donc! On va continuer demain, seule chose à faire. Mais auparavant... Les chats, les
salutations chez vous, la fixation du Rendez-vous pour demain sans faute. Les chats d'abord, n'oubliez pas!
Lucette DESVIGNES
"Le premier vers est toujours envoyé par les dieux". Afin de faire participer au débat les belins-belines qui n'en auraient
jamais entendu parler, je signale que tout à coup (tout par un coup, comme on dit si jooliment par chez moi) un vers vous arrive sur l'écran de votre cinéma intérieur, un vers soudain dont les
sonorités, le balancement, le sens, la beauté peut-être vous frappent durablement. Vous le goûtez, vous vous le répétez tout bas, vous en sentez tout l'impact, vous l'avez reçu comme un
cadeau. D'où vous arrive-t-il? Impossible de le savoir, surtout si vous n'êtes pas coutumier ou coutumière du fait (n'analysons rien pour l'instant, mais j'y reviendrai, promis juré). Et qu'en
faire? Il vous semble, tout Béotien que vous êtes, que vous ne pouvez pas en rester là. Alors quoi? Eh bien il faut continuer sur cet élan qui vient de vous être imposé. C'est alors,
naturellement, que les difficultés vont commencer. Elles pourront être si insurmontables que vous lâcherez pied, que vous abandonnerez toute tentative de lui faire honneur. Vous finirez par
douter de vous - d'où pouvait-il bien venir, cet arrangement de syllabes et de sons qui paraissait vouloir dire quelque chose? Vous n'aurez pas de réponse. C'était peut-être un bel alexandrin -
chez moi ce serait le cas, un alexandrin superbe, voluptueux, plein d'échos (même si par la suite, en fidèle disciple de notre Totor national, je fais tout ce qu'il faut pour le désarticuler, ce
grand niais). Un début, en quelque sorte. Une motrice, derrière laquelle il faudrait accrocher des wagons : vous voyez où j'abaisse mes métaphores pour être sûre que vous allez pouvoir me
suivre.
Un cadeau, donc. Une offrande, mystérieuse et pleine de grâce. Mais aussi une invitation, et même non initié vous devinez qu'on vous sollicite, que le cadeau n'est
pas gratuit malgré ce qu'en claironnent les catalogues et offres de bonus, qu'on attend de vous quelque chose. Cela me fait penser à ces premières séquences toujours les mêmes, pleines d'un
certain charme, dans lesquelles Chapeau melon vient solliciter la participation de Bottes de cuir - autrement dit le distingué John Steed lorsqu'il vient sonner chez Mrs Peele : "Mrs Peel, we are
needed" - Madame Peele, on a besoin de nous". C'est le sésame de nouvelles aventures parfaitement loufoques, celles qui ont fait le succès increvable de la série anglaise "The Avengers" (par
confrontation avec d'autres séries anglo-saxonnes de même tabac : "The Defenders", où Perry Mason - Raymond Burr même en fauteuil roulant règle tout par l'utilisation subtile de la loi, et "The
Persuaders", devenu pour des décennies le délectable "Amicalement vôtres" de nos étranges lucarnes.