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2 novembre 2019 6 02 /11 /novembre /2019 17:45

LIBERTES DE CONDUITE

 

          J'use et j'abuse des privilèges que j'attribue personnellement à mon grand âge. J'étire les aurores jusqu"à la fin de la matinée ou pire encore jusqu'à l'après-midi, parfois même fort avancée ô honte! Je remplace les doctorales considérations par de burlesques et fantaisistes mirlitonnades si l'inspiration philosophique me déserte. Je fustige avec sévérité les touristes des nombreuses phases de vacances qui émaillent l'année scolaire en brandissant le strict devoir de ceux qui restent. J'étale parfois avec forfanterie mon application à continuer ma tâche (ma tâche!... oui, vous avez bien entendu) alors que tout le monde et son père vadrouille sur les routes entre deux encombrements pour gagner les plages ou les montagnes où l'herbe est plus verte, mais tout aussi bien je profite de l'interruption de la routine journalière pour tenir la dragée haute à la date et à l'écoulement du temps, histoire de moi aussi me mettre entre parenthèses. J'ai donc librement profité de l'humeur vacancière de l'Hexagone pour ne vous faire un signe que lorsque j'en avais le temps... L'essentiel est que vous me connaissiez assez bien pour savoir que ces petites irrégularités de programmation ne signifient en rien le ralentissement, voire la désorganisation de la machine : mais non, vous allez voir lundi que tout reprendra selon les exigences les plus strictes du contrat qui nous lie (c'est simple, mes belins-belines : je conduis, vous faites silence sur la banquette arrière - ou encore : je jase je gazouille je harangue je tonne, selon le cas, et vous , vous écoutez, ravis - ou même encore mieux, comme me l'a dit tout récemment un correspondant ami en analysant nos rôles respectifs : " vous ouvrez la voie, et nous vous suivons", donc j'ouvre la voie et vous suivez... c'est-y pas gentiment dit, tout ça?).                                                           

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1 novembre 2019 5 01 /11 /novembre /2019 16:41

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30 octobre 2019 3 30 /10 /octobre /2019 10:27

Le Discours du Trône

 

          Un beau discours, celui de M. Macron pour l'inauguration du Centre du Judaïsme - on ne pouvait qu'en attendre autant, vu son amour de la belle rhétorique, son utilisation parfaitement distillée de l'émotion et sa tendresse pour le judaïsme. La remarque immédiate des observateurs et commentateurs a cependant été qu'au moment de l'attentat contre la mosquée de Bayonne il eût été normal d'étendre son propos au secteur islamiste de la population. La Communauté française, certes, est la seule qui doive être reconnue, protégée, développée, aimée : mais précisément, en plus des Juifs, elle inclut des millions de Musulmans français qui ont besoin d'être protégés contre les Djihadistes, les radicalisés, càd tous les Musulmans qui refusent  d'intégrer cette communauté française qui convient si bien à la majorité de leurs corréligionnaires. Dans un discours où il vantait l'intelligence des penseurs et savants juifs de Cordoue, il eût été parfaitement utile et juste de rappeler que Cordoue était à cette époque une ville musulmane et que les Juifs y vivaient et y oeuvraient en paix. Je ne veux pas compliquer les choses ni les envenimer en disant que c'était Isabelle la Catholique qui avait décrété le bannissement de tout ce qui ne pensait pas comme elle, au moment même, je crois, où Colomb découvrait l'Amérique...Mais enfin les faits sont là. La Communauté française actuelle devrait regrouper tous ceux qui se sentent français ou ont choisi de l'être. Et croyez-moi,c'est la grande majorité des Musulmans qui  s'y regroupe.

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28 octobre 2019 1 28 /10 /octobre /2019 09:50

PREMIER RHUME DE LA SAISON

 

          Rien n'est plus stimulant qu'une petite attaque de rhume après contact avec un enrhumé. Il est indispensable en effet de savoir dès le départ l'origine de la chose pour bien en connaître la nature. La science instinctive combinée à l'expérience vous enseigne les divers paliers de l'assaut microbien : une petite raucité dans la voix suivie presque immédiatement d'un mal de gorge plus ou moins prononcé, puis les éternuements redoublés qui vous rendent tout assotti, puis le nez bouché les muqueuses enflées qui visent à vous asphyxier, enfin la descente de toute cette nuisance sur les bronches et les poumons, dernière phase de la torture qui vous secoue vous délabre vous déguillemanche proprement  la cage thoracique. En trois ou quatre jours (pratiquement une journée par palier spécifique) c'est terminé, sauf les complications bronchiques si elles ont été prévues dans le programme divin vous concernant. Et vous alors,  en face de ce tableau immuable comme en face du taureau dans l'arène (et vous avez bien de la chance justement qu'il ne rue pas ni ne s'esquive dans toutes les directions), vous avez la tâche de combattre. Ne vous laissez pas abattre, dressez-vous droit dans vos bottes, ne vous abandonnez pas à la passivité. Cachets anti-fièvre, pastilles pour la gorge, fumigations au thym (quand la fumigation est terminée,la tisane est juste bonne à boire avec du miel), sirops anti toux sèche ou anti toux grasse (à vous de voir) : votre rôle est de précipiter le mouvement des diverses phases, et avec un peu de finesse vous pouvez gagner deux jours sur les quatre prévus. Une fois guéri vous vous sentez frais comme une bouse. Bon programme!

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26 octobre 2019 6 26 /10 /octobre /2019 11:34

LAURE A L' ŒUVRE, chapitre J, pages 82 à 84

 

(vendredi 4 octobre)

 

 

CHAPITRE  J

 

 

 

          Avec quelle merveilleuse bonne grâce se prêtait-elle au jeu ! Il n’y avait  pas seulement ce tirage au sort des petits papiers à développer, qu’elle avait installé entre eux, à ce qu’il lui paraissait à lui Vuk, afin de cacher sous la légèreté de la plaisanterie l’état peut-être miteux de ce qu’on allait trouver dans le dossier et qui était censé contenir d’éventuelles splendeurs (en fait, ils avaient bien fait des trouvailles à la dernière séance de pêche miraculeuse, il avait pu une nouvelle fois s’étonner de la facilité avec laquelle Laure rattachait un mot à un souvenir puis à une formulation des mots qui valait texte, cela lui semblait l’exemple à suivre à chaque fois sans qu’il eût encore déchiffré comment mais il se croyait à chaque fois plus près de la vérité, il ne doutait pas d’en tirer profit- et cela en tout bien tout honneur, non point grâce à un espionnage sournois qui ne disait pas son nom mais bien avec sa bénédiction à elle, toute disposée qu’elle était à répondre à n’importe quel moment à ses questions à lui qu’elle trouvait si sérieuses, souvent si pointues, parfois embarrassantes mais qu’elle n’écarterait jamais d’un revers de la main, c’était promis).

Donc il y avait ce petit jeu du loto entre elle et lui, c’était le prétexte, c’était paradoxalement de l’accessoire même si on avait besoin de lui d’abord, mais aussi il y avait cette disponibilité désarmante, incroyable, avec laquelle elle se creusait pour lui répondre si cette réponse ne venait pas d’elle-même, charriant des éléments sur lesquelles elle s’efforçait de donner de la lumière.  Ils en arrivaient à faire de l’explication de texte poussée jusqu’aux derniers retranchements – elle tout étonnée d’aller si loin – même à partir de phrases déjà éditées depuis longtemps mais qu’il triait selon sa curiosité ou son caprice. Ils s’amusaient bien tous les deux, mais lui était tout yeux tout ouïe dès qu’elle prenait son air rêveur pour commencer à expliquer. Il ne savait d’ailleurs pas si elle retrouvait exactement le chemin qu’avait suivi son inspiration ou si la démarche explicitée s’improvisait – peu importait, chaque cheminement était fructueux.

Elle réalisait sans hésiter une plongée absolue dans la mentalité des personnages qui lui imposaient leur histoire (comme la pathétique demi-douzaine se cramponnant aux basques de Pirandello dans leur quête de reconnaissance) et cette intrusion pacifique lui était devenue mécanisme aisé et nécessaire. Elle se glissait dans la peau des gens, d’abord ses proches bien sûr, dont elle voulait recréer la stature et les émotions en sachant tout ou presque tout sur leur milieu, leur cadre, leur biotope, mais tout autant  dans des inconnus qu’il fallait construire à partir de zéro si on voulait les faire tenir debout. Elle les situait là où ils avaient passé leur existence, et cela lui permettait de les entendre penser encore plus que de les voir agir. Elle avait reconnu, récemment, qu’elle les choisissait au départ, quelquefois, selon les besoins de la trame du récit, mais la plupart du temps c’étaient eux qui en quelque sorte frappaient à sa porte pour se faire reconnaître, pour avoir voix au chapitre, sans qu’elle sût bien qui allait se présenter le premier. Ceux qui avaient déjà eu l’occasion de se faire entendre auparavant ne rêvaient que de récidiver, ils se bousculaient au portillon parce qu’ils connaissaient déjà le processus et ne voulaient céder leur place à personne; quand on était lancé dans un épisode où les émotions fusaient de toute part ils avaient presque un tour de faveur, on les reprenait sans presque faire de pauses, ils se déployaient à loisir dans toutes leurs hypostases avec leurs nuances, leurs tonalités, leur phrasé, ils ne cachaient rien de ce qu’ils sentaient, c’était un bonheur de les découvrir au fond de soi prêts à s’épancher avec confiance puisqu’on leur donnait si belle occasion de renaître et de parler.

Il n’était pas certain de bien suivre, même s’il se concentrait sur pareil genre d’enseignement qu’elle détaillait à grand renfort d’images et de métaphores. Elle faisait allusion ici à un phénomène d’inspiration ou d’écriture qu’il n’avait jamais ressenti et qui lui paraissait aussi rare qu’emblématique – il ne lui parlerait de ses essais que lorsqu’il aurait connu pareil bouleversement : c’était peut-être seulement à ce moment-là qu’on pouvait se sentir écrivain (se dire écrivain ne rimait pas à grand-chose, tout auteur même médiocre se sentait un jour ou l’autre pousser des ailes et gonfler du bréchet – ce qui comptait c’était l’impression qu’on ressentait en profondeur, en toute honnêteté, au fin fond de sa solitude mentale, en face du miroir secret auquel on ne pouvait mentir, et il savait lui Vuk qu’il n’en était pas encore arrivé là – if ever, d’ailleurs. Il doutait même de sa faculté personnelle à connaître jamais cette exaltation symbolique qui vous étiquetait pour toujours, peut-être y arriverait-il plus tard, quand il aurait vécu et connu de la vie bien plus qu’il n’en connaissait à présent. Elle lui avait fait part de la réflexion si fréquente  de beaucoup de lecteurs des Noeuds d’Argile : pourquoi ne pas avoir écrit ce roman plus tôt ? « Vous imaginez, lui disait-on souvent, la carrière que vous auriez faite si vous aviez publié ce livre quand vous aviez vingt-cinq ans ? », ce à quoi, lui avait-elle dit avec un petit sourire, il était facile de répondre qu’à vingt-cinq ans je n’aurais jamais pu écrire Les Nœuds d’Argile…Il garderait cette réflexion dans un petit coin de sa mémoire et il l’aérerait souvent. La connaissance de la vie, cela voulait dire l’amour, la peur, l’angoisse, la souffrance, le désespoir, la mort…Oui, il comprenait bien qu’il lui faudrait attendre.

.           Mais cette expérience-là, qu’elle suggérait en tâchant de la faire aussi évidente que possible, valait surtout, pensait-il, pour des romans où les personnages vivaient en foule : lui n’avait jamais, pour sa part, été tenté par des ouvrages de ce genre qui racontaient des histoires – et certes il s’était passionnément épris de ses histoires à elle, mais c’était qu’il n’y avait pas que l’histoire qui comptât, on plongeait dans un monde d’émotions et d’impressions et c’était ce monde qui s’insinuait en vous, vous enveloppait, vous faisait attendre longtemps, sans impatience et au contraire dans le ravissement, l’éventuel développement de l’histoire, non ce n’était pas l’histoire qui comptait. Elle représentait en somme une espèce d’exception parmi les bâtisseurs d’histoires familiales sur plusieurs générations, car même si le résultat pouvait être réussi, il n’était pas sûr qu’il fallût enfiler ces témoignages sur un fil de récit qui servait de structure essentielle. Il jugeait quelque peu simpliste (et ce jugement l’emplissait sur-le-champ de honte, car qu’était-il pour proférer pareille opinion, lui qui en était à ses premiers bredouillements, même s’il les considérait comme prometteurs et l’engageant à jamais ?) d’avoir pour but de raconter une histoire. Il y avait d’autres choses dans la vie, dans le monde, dans l’expression écrite, que des anecdotes permettant de donner à des personnages la force de se tenir debout au milieu d’aventures ou de circonstances extérieures – la guerre, l’histoire, le malheur du monde, la souffrance des pauvres. L’injustice des systèmes humains de coexistence, le droit pour les faibles de se faire entendre haut et fort, quitte à en mourir, les armes sorties si nécessaire. La dénonciation des trafics et des abus, le droit même peut-être de prêcher la révolte – il y avait un foisonnement de directions à prendre où la narration des vies des personnages ne tiendrait qu’une part infime dans les possibilités de choix.

 

(à suivre)

 

 

 

 

         

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LAURE A L' ŒUVRE, chapitre I, pages 85 à 87

 

(vendredi 11 octobre)

 

CHAPITRE I

 

 

          Et voilà qu’il se sentait rempli d’une espèce de solennité, comme s’il voyait clairement en lui les territoires à arpenter. Il ne sentait nulle attirance vers le passé, le passé des gens, le passé des faits et leur agencement dans l’Histoire. N’était-ce pas après tout parce qu’il avait été déraciné dès l’enfance, coupé de ses racines nationales ? Bien sûr, grand-mère Zora lui avait chanté des berceuses de son pays, lui avait raconté les légendes qui traînaient dans son souvenir depuis des lunes. Et l’avait sagement entretenu dans sa langue maternelle, si bien qu’à sa mort il avait pu, à l’Université, accroître ses connaissances de littérature et approfondir son bagage linguistique, ce qui n’avait nullement fait obstacle à une intégration sans réserves. Mais ces thèmes de légendes ou de berceuses étaient-ils donc si naïfs ? il ne s’y sentait pas plus rattaché qu’à son passé serbe qui lui apparaissait comme à la fois simpliste et répugnant puisqu’il ne consistait qu’en guerre horrible et déchirements entre frères. Il avait de lui-même tâché de se tenir à l’écart, se détournant avec amertume des nouvelles et de la vérité de cette sale guerre, et si la haine de la guerre et des armes l’emplissait furieusement pour autant il refusait de situer ses thèmes dans son passé, qui ne pouvait que parler de sang, de tortures, de cruauté et de larmes. D’ailleurs cela se décidait au sein de ces limbes qu’il portait au profond de lui, or pas une seule fois la voix impérieuse qui avait trouvé un itinéraire jusqu’à son truchement à lui pour l’amplifier et la faire entendre à l’extérieur n’avait fait allusion au passé : pas de décor, pas d’images, pas de couleurs, pas d’atmosphère. Au contraire, cette sorte de lumière blanche des films de science fiction, cet éclairage de Guerre des Etoiles et d’intérieur de vaisseau spatial où l’on se mouvait à l’aise, avec des humains pas tout à fait humains de visage ou de démarche, avec l’impression qu’on avait réellement décollé de cette planète encombrante et maussade, où les pires ignominies se trouvaient avoir droit de cité. Il y avait donc du même coup tout le champ des mutants qui ne demandait qu’à se laisser développer et renouveler, et tout le domaine du rêve à traiter comme un objet palpable, vous délabrant sans doute pour se frayer un chemin hors de ses brumes, mais déroulant à perte de vue ses offres d’exploitation.

          Il y avait tant d’univers à créer, faute d’en avoir sous la main à découvrir parmi les galaxies disséminées qu’on ne cherchait plus à compter par découragement… Le champ était libre. Recréer la vie sur cette planète à partir d’un gommage total, inexorable et minutieux. La repeupler en tournant le dos aux patrons sur mesure qui avaient instauré des fonctionnements meurtriers et criminels, en refusant tous les schémas de la facilité, en évacuant les systèmes qui tous avaient fait faillite. Refaire le monde. Ou peut-être, à partir d’un panorama d’apocalypse où la cendre et la suie se partageaient le territoire, se projeter dans un futur d’angoisse pour en faire ressortir l’imminence. De toute façon la vision du futur ne pourrait être que terrifiante, il était inutile de se persuader du contraire.

          Cela ne voulait pas dire non plus que dans le passé tout allait pour le mieux. Au contraire, elle insistait toujours, lorsqu’elle évoquait les temps anciens, sur la dureté d’assurer la survie de sa famille à peu près à toutes les époques. Elle lui avait brièvement parlé du Cri du Ventre, une pièce de théâtre qui avait été créée à l’occasion du bicentenaire de la Révolution de 1789 et dont le titre disait bien ce qu’il voulait dire. Elle faisait renaître les journées des 5 et 6 octobre, lorsque le peuple de Paris s’était en masse rendu à Versailles pour en ramener « le boulanger, la boulangère et le petit mitron », car de toute évidence une fois arraché à la cour le monarque allait remplir les coffres des boulangeries et par sa seule présence faire cesser la famine. La création de la pièce avait eu lieu exactement dans la semaine du 6 octobre 1989, deux siècles plus tard, et l’accent avait été mis sur les tourments de la faim accablant une famille de paysans, eux qui pourtant faisaient pousser le blé mais n’avaient pas le droit de le moudre à leur convenance. Oh elle était ouverte à cet aspect-là du passé et sans aucun doute c’était cette vision sévèrement lucide qui avait déterminé sa philosophie et son attitude militante.

          Et pour autant elle conservait pour le passé une fascination dont elle n’avait jamais pu se déprendre. Il avait deviné peu à peu, avec étonnement, que les souvenirs tirés des ténèbres profondes affleuraient sans cesse à sa pensée, que des images ou des réflexions oubliées, des émotions insolites, se mettaient à surnager, proches de l’arrivée à la lumière, et son expression au repos était davantage tournée  vers l’intérieur, comme si elle n’en avait pas fini, jamais fini, avec l’exploration de ces réserves. Lorsqu’il voyait flotter sur cet air absorbé un vague sourire, il comprenait que cette résurgence d’un passé qui lui était personnel n’évoquait rien de déplaisant, avec ses secrets et ses petits riens, et qu’elle pouvait s’en nourrir avec satisfaction. Sans doute même pouvait-elle, à cause de cette distanciation désormais possible, transformer les zones pénibles ou irritantes de chaque évocation, amertume dominée par la sagesse due à l’âge par exemple, ou encore détachement – sage aussi – d’éléments qui autrefois avaient dû la meurtrir.

            Il  s’étonnerait toujours de la voir si étroitement liée au passé, le sien d’abord, ce qui allait de soi, mais à toute évocation qui se situait en arrière, portant l’étiquette de l’achevé, du terminé, du déjà dépassé. Ainsi son attirance instinctive pour l’Histoire, pour les atmosphères historiques – sinon pour les romans historiques dont elle méprisait la formule, de la même aversion qu’elle repoussait l’opéra, chaque genre souffrant à ses yeux de la même bâtardise dégradante. Il était possible et même probable que la mise sur pieds de deux histoires de familles, surtout de pareille ampleur et avec tant de détails rigoureusement d’époque, l’eût cantonnée dans des secteurs en contraste continuel avec les rythmes du présent. Tout de même, on la sentait tellement à l’aise (et elle-même à l’occasion disait et répétait son plaisir d’écriture à se plonger dans ces cadres ou ces ambiances avec leurs tempi et leur éclairage) qu’on ne pouvait s’empêcher de la trouver dans son élément. L’ivresse à revivre son enfance et son adolescence, cela ne s’inventait pas : tout le monde l’avait senti avec force et nuances. Le contexte de Clair de Nuit (lui, c’était peut-être au fond le roman qu’il préférait, elle lui avait dit une fois que c’était le préféré de Rémi, il avait été heureux de cette coïncidence de leurs goûts) était en principe installé dans le présent, et même dans l’exacte contemporanéité puisqu’il se datait facilement : de La Matinée au Dernier Soir c’était ce week-end du 15 août 1981 où il s’était passé tant de choses, et cependant rien n’aurait pu offrir occasion au récit si le passé n’avait pas été là, frappant à la porte à chaque instant, retrouvant dans l’évocation d’émotions déjà lointaines mais non oubliées une puissance d’action qui soulevait des montagnes.

          Il y avait eu aussi ce Voyage en Botulie  qui fustigeait le présent – la société, la civilisation occidentale avec toutes ses tares – de manière sanglante, mais qui avait eu besoin pour l’amour du contraste de démarrer au temps de La Pérouse et de Vaucanson, au temps des rapports de courtoisie empesés et discrets entre maître et disciple, au temps où l’esprit d’aventure tentait les esprits au point de chercher à tracer des suppléments aux cartes établies pour figurer l’univers. Et l’autre grand roman sur la libération de l’individu et son accession à la pleine réalisation de soi, avec une femme choisie comme modèle, s’était bel et bien installé sous l’Ancien Régime, pour montrer avec l’ouverture des esprits l’ample essor de l’Histoire, Colombe émergeant hors de sa servitude de manante pour acquérir l’envergure de la femme forte.

          Oui, malgré elle, c’était le passé qui la charmait. Ils avaient revu l’autre jour sur le petit écran l’adorable et si subtil Belles de Nuit  de René Clair, et il n’avait pu s’empêcher de penser à Laure – sans le lui dire évidemment – en retrouvant à chaque tranche de temps ce petit vieux furieux de l’époque présente qui, toujours dans les mêmes termes rageurs et consternés (« Ah ! Monsieur, quelle époque ! »), concluait sur l’évocation de son époque à lui, où tout était si facile et si beau. Pourtant on ne pouvait l’accuser de passéisme. Si elle s’immergeait dans les mentalités des siècles passés, c’était pour en extraire les manquements à l’humanité, les tares et les vices, les misères et les souffrances des faibles. Il lui était peut-être tout simplement nécessaire de s’appuyer sur du terrain solide, éprouvé, sur du matériau tangible et déjà existant, aussi bien pour l’œil que pour la connaissance. Il existait  bien des enfants de la terre qui avaient une viscérale horreur de l’eau, des étendues à horizon perdu, des houles ravageuses, des mondes à deviner au-delà. Elle en faisait partie, aucun doute là-dessus.

 

(à suivre)

          LAURE A L' ŒUVRE, chapitre I, pages 88 à 90

 

(vendredi 18 octobre)

 

CHAPITRE I

 

 

 

          Mais précisément il y avait les autres, enfants de la terre certes mais audacieusement tournés vers ces horizons lointains à visage indéchiffrable. Les enfants de la terre à instinct de navigateurs, d’explorateurs, se projetant dès l’enfance dans leurs rêves de conquêtes insolites avant de tout tenter pour les réaliser. Ceux qui voulaient échapper aux pesanteurs du plancher des vaches pour s’évader au loin, dans les airs, sur les océans. Ceux que possédait un appétit d’envol, une soif de se détacher, une boulimie d’aventure et d’inconnu. Ceux qui se sentaient libres seulement si tous les repères habituels avaient disparu, si l’étendue sans borne et sans forme définissable se déployait devant leurs yeux éblouis. Que faire de l’Histoire quand on lui tourne le dos pour s’avancer hors limites connues ? quand on n’est fasciné que par ces luminosités éclatantes ou lunaires dont on n’est même pas certain de ne pas les fabriquer soi-même ? quand l’espace et le temps se trouvent emmêlés embrassés enlacés à tel point qu’on ne peut plus les distinguer l’un de l’autre ? quand le terreau de la planète ne colle plus aux semelles que pour inviter à aller voir comment il est sur les autres ?

          Bien sûr, des navigateurs, des explorateurs, il y en avait de toute sorte, et sans doute de plus en plus, avec cette tentation permanente désormais dès l’enfance installée dans les rêves d’aller sur la lune, au-delà de la lune, sur Mars, sur Jupiter – puisqu’un beau jour ou pourrait y aborder, il suffisait d’attendre. Et le plus enivrant c’était, grâce à tout ce que montraient les émissions scientifiques des astrophysiciens, ces génies, la découverte appuyée de toutes ces galaxies semées monstrueusement dans un monstrueux infini. Plus de limites, plus de mesures possibles – un absolu insondable. La liberté essentielle, à l’état pur.

          Et tandis que les navigateurs des espaces intersidéraux devaient piétiner, leurs élans ralentis par les contraintes physiques qu’il fallait contourner par des trouvailles de génie à retravailler et améliorer sans cesse, les esprits qui se contenteraient à jamais d’anticiper ces navigations n’avaient pas, eux, à tenir compte de ces freins puisque leur imagination seule serait appelée à faire le voyage. Il était de ceux-là, lui Vuk. Rien que de se signaler dans cette catégorie de rêveurs impénitent tournés vers le déchiffrage des étoiles il prenait chaud.

          Il n’était pourtant pas accro à ces jeux pour débiles où les affrontements avaient lieu dans les étendues infinies s’étirant entre les astres. Il ne pensait même pas être renseigné comme sans doute il aurait pu l’être, tout au moins dans les grandes lignes, sur la configuration du ciel tel qu’on était capable de l’envisager maintenant, avec ces explorations invraisemblables réussies depuis un demi-siècle, ces instruments dont les capacités défiaient l’imagination et qui rapportaient des photos incroyables ou servaient de télescopes à puissance ahurissante. Mais précisément ce n’était pas la vérité de l’état de lieux qui l’intéressait ; il n’avait même pas envie d’aller se promenait là-haut et s’il admirait les prouesses des cosmonautes c’était sans la moindre pointe de jalousie, il leur laissait bien leur gloire en sachant combien cher elle se payait. Il n’avait pas besoin d’aller vérifier sur place si les hypothèses des scientifiques étaient exactes et progressaient, il lui suffisait de rêver et d’organiser un peu ses rêves pour construire des univers à sa botte. Qu’est-ce donc que faisaient les films qui vous baladaient dans les galaxies, au cœur d’un vaisseau spatial parfaitement équipé pour la vie en groupe étirée sur des années – le temps d’une mission ou d’un retour ? Sans adopter le principe du Docteur Who, qui avec sa cabine téléphonique bleue était capable d’aborder aussi bien des temps héroïques (l’éruption du Vésuve engloutissant Pompéi, ou une intervention des sorcières de Macbeth pendant une représentation du Globe avec présence de Shakespeare - d’ailleurs, c’était l’Histoire qui commandait ces épisodes, qui les limitait par leur date, qui les figeait dans leur localisation) oui, aussi bien que des errances dans les espaces intersidéraux où les rencontres d’autres civilisations variaient à l’infini mais étaient finalement toujours pareilles – sans, donc, adopter la formule Docteur Who on pouvait librement construire des voyages au long cours du genre 20001 Odyssée de l’espace ou mieux encore peut-être du genre Star Wars.

          On n’était pas obligé tout de même, si on voulait écrire dans ce  contexte illimité mais déjà frayé par d’autres, de se cramponner aux schémas qui semblaient traditionnels, relevant même du stéréotype. Plongée dans l’infini de l’espace, pour une mission ou pour échapper à un cataclysme planétaire, donc se lancer hardiment dans l’aventure ou fuir une destruction qui n’aurait laissé vivants que quelques individus (mais attention : comme dans les micro-sociétés de Jules Verne, où sur cinq membres évadés d’un camp de sécessionnistes il y avait un cerveau, un ingénieur-géologue, un hercule capable de tous les gros travaux, un cuisinier connaisseur de toutes les ressources nutritives et un jouvenceau dont le voyage fera figure d’initiation – pas de blague, il faut des compétences selon les besoins, non mais !), l’expédition quels que soient ses motivations ou ses buts naviguait entre planètes et constellations en recréant un microcosme dont on ne pouvait éradiquer les sentiments et réactions des humains sous peine de fausser l’axe même de l’invention. Certes les évolutions de l’engin spatial se situaient sur l’infini du ciel, mais c’était à l’intérieur du vaisseau que les conflits demeuraient, nés des jalousies, mesquineries, volontés de puissance, haine ou désirs de vengeance : rien de changé, au fond, aux quatre murs d’une prison regroupant quelques individualités, puisque même les dispositions amoureuse y trouvaient parfois place, avec leurs séquelles en tout genre..

          En outre, s’il y avait quelque contact avec des ressortissants d’une autre espèce (difficile à imaginer ; les variations dont l’invention sans limite de Doctor Who  faisait défiler les monstres hideux ou déshumanisés n’induisaient aucune nouveauté dans les intrigues), que ce soit un rescapé recueilli par pitié ou des hordes hostiles dès qu’un débarquement était tenté, ces affrontements ou ces coexistences gardaient les mêmes schémas de base. Violence, incompréhension, brutalité : même lorsque les voyageurs de l’espace étaient choisis comme modèles, c’était pour s’emparer de leur personnalité, et les intrigues tournaient en rond. Et si les guerres disposaient d’armements sophistiqués pour lesquels, là encore, les imaginations sollicitées et pressurées n’offraient rien de sensationnel malgré le renfort des effets spéciaux se surpassant d’une réalisation à une autre, les fondements des conflits restaient immuables, faisant varier les détails mais incapables de se renouveler : colonisation de peuples pour l’espace vital, pour l’eau, pour l’air, désir de conquêtes, ambitions personnelles ou collectives, nil novi sub sole. Non, rien de nouveau sous le soleil et même bien loin de lui, dans des galaxies où il n’avait plus sa place ni son importance

          Il avait revu récemment un épisode de Star Trek 3 : la numérotation indiquait bien qu’on reprenait les mêmes et qu’on recommençait (mais c’était trompeur : combien de fois Les dents de la Mer  pouvaient-elles entretenir la curiosité du public et son amour des frayeurs ?). Il avait retrouvé ces visages couturés, en cuir repoussé, avec les piqûres sellier en relief, marquant une différence notable avec les visages humains ordinaires et cependant conservant les yeux, le nez, la bouche sous les postiches de moustache et de barbes à la pousse inédite – il fallait bien tout de même que d’un seul coup d’œil on pût voir qu’il s’agissait d’individus compatissants ou de brutes sanguinaires et réduites aux instincts les plus barbares. Et les vêtures à l’antique, surtout chez les demoiselles, muettes comme il se doit mais figurant des encadrements chorégraphiques pleins de majesté autour des chefs, et les cuirasses vestiges d’un attirail médiéval dépassé, et les tenues en peplum agrémentés de pierres de couleur ou de traînes pourpres, tout cela essayait de se renouveler mais sans jamais y parvenir (qu’importait d’ailleurs ? le public familier admirait béatement ces plates variations sur un thème commun sans jamais se plaindre de l’incongru du spectacle). Et les poses hiératiques des chargés du commandement, et les évolutions dans des décors immenses évoquant aussi bien le béton soviétique que les architectures du Troisième Reich, et les comportements d’esclaves des troupes constituant la garde rapprochée des super gradés (oh les casques des militaires, tirés d’un musée du costume de l’armée depuis les Perses jusqu’aux bataillons du préfet Papon de mai 68), rien qui ne fût un élément de l’histoire des civilisations depuis Adam et Eve.

(à suivre)

 

 

 

LAURE A L' ŒUVRE, chapitre I, pages 91 à 93

 

(vendredi 25 octobre)

 

CHAPITRE I

 

 

          Autrement dit, tout restait ontologiquement lié à l’humain, dans ces tentatives d’imaginer quelque chose en dehors de l’histoire ou de la tradition humaine. Le grandiose des décors ou des explosions cataclysmiques qui ravageaient une planète entière ne changeait rien, même si les moyens techniques permettaient de renchérir sans limite sur le fantastique déjà réalisé. Les mobiles d’agissements, les émotions (même quand on voulait en donner un tableau réfrigéré, comme si les battements de cœur étaient si ralentis dans ces époque futuristes qu’il n’y avait plus place pour l’amitié, la pitié, la joie, l’amour, puisque même les colères s’y montraient froides, maîtrisées, étrangères aux comportements bouillants des héros terriens), le sens de l’honneur incompressible qui continuait à faire ses ravages dans les conflits, sortaient tous de la réserve des traditions humaines. On n’avait rien inventé, même si le chiffre des millénaires dépassait l’imagination, même si on ne se déplaçait plus que sur des territoires inconnus au terme de translations intersidérales au cours desquelles on avait perdu la notion du temps. La modification des oreilles, avec leurs longues pointes méphistophéliques même sur des individus aussi généreux et protecteurs que Mr Spok, l’amaigrissement des joues, l’horizontalité des sourcils, établissaient des variantes sur des thèmes usés jusqu’à la corde qui s’appelaient le visage humain, le regard humain, la physionomie humaine. Si on voulait faire du neuf, il fallait quitter l’humanité, quelles qu’en puissent être les représentations.

          Et certes c’était bien ça le plus difficile. Et c’était bien pour ça que la SF continuait à tourner en rond et à se mordre la queue, même si les décors devenaient de plus en plus fantastiques (mais il faudrait Druillet pour les signer, ce n’était jamais le cas), même si les monstres des autres mondes devenaient de plus en plus monstrueux, avec des pendrouillons de peaux ridées et visqueuses recouvrant tout ce qui pourrait s’appeler un visage, des yeux uniques au milieu du front comme Polyphème n’aurait jamais pu en rêver l’effroyable horreur, ou alors des yeux multiples, au bout de douzaines de tentacules se tortillant comme les bras d’une pieuvre. Et puis cette Fiction Science  qu’on avait si vite francisée en SF contenait un élément de base qu’on avait banalisé, étouffé, annihilé : ce domaine totalement, impavidement imaginaire en principe dévolu à la science permettait de triompher en définitive à la seule technique du mouvement et des effets spéciaux ; la biologie, l’astrophysique, même la connaissance des limites et des exigences de la physiologie humaine semblaient sinon ignorées, du moins délibérément écartées de tout scénario d’une exploration intersidérale. Comme si on ne pouvait se détacher de l’image de l’homme, avec ses variations à décliner comme la seule issue possible hors de sa planète…

C’était bien là qu’il fallait inventer, et non se contenter de faire semblant. Il fallait rompre avec le stéréotype humain, avec cet anthropomorphisme en balade à travers les galaxies qui était peut-être apparu une force, au départ, voire un élan irrépressible, un must dans l’évasion hors piste de l’imagination -.et qui ne s’analysait plus que comme une entrave. C’était sur le modèle humain qu’il fallait faire porter son élaboration, non pour en imaginer d’infinies hypostases qui finalement se ressembleraient toutes, mais pour cesser d’en faire le héros confrontant hardiment ses valeurs aux aléas des rencontres. Personne ne se rendait donc compte que le héros traînait toujours avec son allure « A cœur vaillant rien d’impossible » une charge de ridicule qui ne faisait que croître ? Le modèle humain était-il donc si glorieux qu’on dût le retrouver partout, le faire triompher de tout, même à des années-lumière de sa planète d’origine ? Et par-delà l’aspect physique sur lequel, aux imaginations peu originales, il paraissait si facile de jouer, fallait –il considérer l’homme comme assez admirable dans ses actes et mobiles pour que sa morale demeurât l’étalon des comportements et des affrontements de l’opéra galactique ? Le caractère positif du héros se localisait merveilleusement sur la scène de Brecht, mais qu’avait-il à faire là-haut ? Pourquoi transporter inévitablement avec soi les contextes de société et de jugement moral pour les faire fonctionner dès les contacts établis avec d’autres formules, donc avec l’obligation purement réflexe de condamner toute forme dissidente de penser ou de jugement ? C’était là que le bât blessait.

          Il s’était, lui Vulk, depuis longtemps penché sur ce type de raisonnement. Il ne fallait pas partir des données qui pour tout le monde et son père allaient de soi, à savoir, que l’homme serait toujours l’homme, l’homme-modèle – pourquoi pas la créature qu’un dieu mal inspiré avait conçue à son image ? – à tel point que s’il y avait quelque part des civilisations différentes elles n’aient qu’envie de copier cet aspect physique si parfait, qu’elles s’empressent d’en extraire la substantifique moëlle, qu’elles ne tolèrent l’incursion des Terriens que pour le temps où ils pourraient être utiles aux processus de décalquage, puis de multiplication, de leurs traits ou de leurs capacités cérébrales mis en œuvre par elles en se servant des visiteurs comme de cobayes. Dès lors  qu’on imaginait pour l’homme la possibilité de devenir un mutant, avec peut-être des facultés animales nouvellement acquises qui signaient davantage une régression qu’un progrès, il ne pouvait plus être question de l’envoyer partout caracoler d’une galaxie à une autre pour voir ce qu’il pourrait y apporter (ou plus sûrement ce qu’il pourrait en tirer). Il pouvait demeurer sur sa planète, qui elle aussi aurait opéré sa mutation et serait devenue hostile à toute survie : n’était-ce pas d’ailleurs ce que toutes les prophéties alarmistes annonçaient ? Dans si peu d’années y aurait-il encore de l’eau, de l’air respirable, de terres émergées en suffisance, des températures supportables ? encore quelque chose à se mettre sous la dent ? Personne ne doutait que le futur serait sombre, d’une cruauté banale d’où toute idée morale serait hors de contexte …

          Si c’était là l’avenir, l’anticipation ne s’analysait pas qu’en termes de vols interplanétaires fulgurants. On pouvait imaginer des mutants, leurs difficultés à survivre. Peut-être même, étant donné le fond raciste de l’humaine espèce telle qu’elle l’exhibait si fièrement aujourd’hui, les mutants devraient-ils vivre à l’écart de la société, tenus par elle comme une catégorie animale du genre de celle des Araucains en face des conquistadores européens, visée par la controverse de Valladolid sous la forme « Ces Créatures-là ont-elles uns âme ? », ce qui bien entendu à l’époque était la grande question. Sans doute ces mutants, refoulés dans d’innommables retranchements hors des villes (ou dans les décombres des villes) et vivant parmi les animaux, n’auraient-ils pas accès à la civilisation telle qu’elle continuerait à se dérouler sur ses anciennes bases – ou alors quels pourraient être les principes (ou les avatars) des regroupements sociaux qui se cramponneraient encore à des privilèges survivants ? Il y aurait une telle richesse de problèmes à poser, à examiner, à illustrer… Cela lui apparaissait, à lui Vuk, inépuisable, à s’enivrer de cette opulence à laquelle il suffirait de donner forme.

          Cette richesse, cette opulence l’éblouissaient. Il n’aurait qu’à se lancer, qu’à plonger dans ce milieu insolite et vierge pour s’y acclimater afin d’y vivre, afin d’en devenir le héraut une fois qu’on en aurait imaginé et testé les tenants et les aboutissants. Son cœur battait quand il envisageait cette réserve de possibilités à traiter à sa manière. Mais il faudrait qu’elle fût originale, sa manière à lui, son style à lui, son écriture à lui.

 

                                                                               (à suivre)

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26 octobre 2019 6 26 /10 /octobre /2019 11:17

          COUCOU BREF

 

 

 

          Vous savez bien que je ne saurais me passer de vous, mes belins-belines! J'ai certes cessé pour quelques jours de vous prodiguer mes avis si indispensables qui vous aident au moins une journée (ou ce qui reste de la journée, vu l'horaire de mes aurores) à rester droits dans vos bottes, bien préparés à affronter les sournoiseries du destin. Mais nos liens ne se rompent pas si facilement! Je vous offre donc mes pensées amicales pour ces congés que je n'attendais pas : où que vous soyez, et surtout si vous n'avez pas ouvert mon blog (genre :"bien le bonjour chez vous si y a personne " qui me faisait m'esclaffer quand j'avais six ans) , bonne journée et prenez bien soin de vous! A bientôt!

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22 octobre 2019 2 22 /10 /octobre /2019 13:08

LA NOCE SOUS LA PLUIE

 

          Mariage pluvieux, mariage heureux! dit-on en matière de consolation pour la noce arrosée. J'ai bien peur que la consolation ne soit mince pour la noce  à laquelle ma chère amie musulmane vient d'assister entre deux voyages par voiture avec départ et retour sur 48 heures ,  puisque à Pierrelatte elle mariait son fils. Elle quittait en effet la Côte d'or où la pluie, même enfin venue ces temps-ci, ne se fait guère généreuse, pour le couloir rhodanien où s'engouffraient les vents déchaînés de ce début d'automne et les pluies torrentielles du secteur méditerranéen. Pas de cortège possible : au sortir des voitures les parapluies (un par personne pourtant raisonnablement prévu) sont retournés, remplis d'eau dans l'entonnoir improvisé, déversés sur les habits de fête. Même schéma de catastrophe pour sortir de la mairie : une tornade s'est invitée, violente,  tenace, impossible à contourner ou à franchir. L'arrivée aux lieux de la célébration traditionnelle se fait comme une fuite éperdue. La mariée dans sa robe trempée claque des dents, tout le monde s'ébroue : il faudra un moment et beaucoup de bonne volonté pour trouver l'ambiance espérée - on y arrive tout de même! Pluie diluvienne encore le lendemain matin, les mariés partis en voyage de noce, un dernier repas pour les proches, et retour en Côte d'Or sous une pluie battante. Si ce ménage ne s'épanouit pas dans le bonheur et la prospérité, il faudra inventer un autre dicton.

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21 octobre 2019 1 21 /10 /octobre /2019 11:09

Grèves-surprises

 

          Les grèves-surprises sont faites pour créer la surprise, accessoirement aussi le merdier général auquel finalement personne n'échappe : il faisait bon, ce dimanche, rester dans ses pantoufles sans aller voir ailleurs si le soleil continuait à briller. Ma grève à moi n'a rien eu d'aussi agressif, voire d'aussi dommageable y compris pour la SNCF puisque tous les billets non honorés vont être remboursés : à vrai dire, je n'avais même pas pris conscience qu'ici ou là on pouvait s'arrêter, poser à terre son sac de revendications et réclamer que chaque train ait au moins deux employés pour relier deux villes entre elles (il faut dire qu'un seul homme pour tout faire, annonces contrôle des billets démarrages et arrêts selon le programme bref souci des voyageurs s'il y en a qui se trouvent mal, tout ça c'est beaucoup pour un seul homme, et encore à condition qu'il ne prenne pas lui-même de crise cardiaque quand le train est lancé à pleine vitesse).

Ma grève-surprise à moi, qui s'est produite samedi, n'a pris forme visible que le soir, quand la vérification du calendrier m'a appris que nous n'étions pas vendredi et que ma livraison de Laure à l'oeuvre, sur laquelle je comptais me reposer paresseusement, était déjà effectuée de la veille et ne saurait valoir aussi pour son lendemain. Je vous avoue donc ma déconvenue, mes belins-belines, de vous avoir fait faux bond. Pour autant, puisque le climat est à la grève, j'ai bien envie de m'y associer sans souci de la moindre contrepartie.

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21 octobre 2019 1 21 /10 /octobre /2019 11:08

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18 octobre 2019 5 18 /10 /octobre /2019 22:49

          LAURE A L' ŒUVRE, chapitre I, pages 88 à 90

 

(vendredi 18 octobre)

 

CHAPITRE I

 

 

 

          Mais précisément il y avait les autres, enfants de la terre certes mais audacieusement tournés vers ces horizons lointains à visage indéchiffrable. Les enfants de la terre à instinct de navigateurs, d’explorateurs, se projetant dès l’enfance dans leurs rêves de conquêtes insolites avant de tout tenter pour les réaliser. Ceux qui voulaient échapper aux pesanteurs du plancher des vaches pour s’évader au loin, dans les airs, sur les océans. Ceux que possédait un appétit d’envol, une soif de se détacher, une boulimie d’aventure et d’inconnu. Ceux qui se sentaient libres seulement si tous les repères habituels avaient disparu, si l’étendue sans borne et sans forme définissable se déployait devant leurs yeux éblouis. Que faire de l’Histoire quand on lui tourne le dos pour s’avancer hors limites connues ? quand on n’est fasciné que par ces luminosités éclatantes ou lunaires dont on n’est même pas certain de ne pas les fabriquer soi-même ? quand l’espace et le temps se trouvent emmêlés embrassés enlacés à tel point qu’on ne peut plus les distinguer l’un de l’autre ? quand le terreau de la planète ne colle plus aux semelles que pour inviter à aller voir comment il est sur les autres ?

          Bien sûr, des navigateurs, des explorateurs, il y en avait de toute sorte, et sans doute de plus en plus, avec cette tentation permanente désormais dès l’enfance installée dans les rêves d’aller sur la lune, au-delà de la lune, sur Mars, sur Jupiter – puisqu’un beau jour ou pourrait y aborder, il suffisait d’attendre. Et le plus enivrant c’était, grâce à tout ce que montraient les émissions scientifiques des astrophysiciens, ces génies, la découverte appuyée de toutes ces galaxies semées monstrueusement dans un monstrueux infini. Plus de limites, plus de mesures possibles – un absolu insondable. La liberté essentielle, à l’état pur.

          Et tandis que les navigateurs des espaces intersidéraux devaient piétiner, leurs élans ralentis par les contraintes physiques qu’il fallait contourner par des trouvailles de génie à retravailler et améliorer sans cesse, les esprits qui se contenteraient à jamais d’anticiper ces navigations n’avaient pas, eux, à tenir compte de ces freins puisque leur imagination seule serait appelée à faire le voyage. Il était de ceux-là, lui Vuk. Rien que de se signaler dans cette catégorie de rêveurs impénitent tournés vers le déchiffrage des étoiles il prenait chaud.

          Il n’était pourtant pas accro à ces jeux pour débiles où les affrontements avaient lieu dans les étendues infinies s’étirant entre les astres. Il ne pensait même pas être renseigné comme sans doute il aurait pu l’être, tout au moins dans les grandes lignes, sur la configuration du ciel tel qu’on était capable de l’envisager maintenant, avec ces explorations invraisemblables réussies depuis un demi-siècle, ces instruments dont les capacités défiaient l’imagination et qui rapportaient des photos incroyables ou servaient de télescopes à puissance ahurissante. Mais précisément ce n’était pas la vérité de l’état de lieux qui l’intéressait ; il n’avait même pas envie d’aller se promenait là-haut et s’il admirait les prouesses des cosmonautes c’était sans la moindre pointe de jalousie, il leur laissait bien leur gloire en sachant combien cher elle se payait. Il n’avait pas besoin d’aller vérifier sur place si les hypothèses des scientifiques étaient exactes et progressaient, il lui suffisait de rêver et d’organiser un peu ses rêves pour construire des univers à sa botte. Qu’est-ce donc que faisaient les films qui vous baladaient dans les galaxies, au cœur d’un vaisseau spatial parfaitement équipé pour la vie en groupe étirée sur des années – le temps d’une mission ou d’un retour ? Sans adopter le principe du Docteur Who, qui avec sa cabine téléphonique bleue était capable d’aborder aussi bien des temps héroïques (l’éruption du Vésuve engloutissant Pompéi, ou une intervention des sorcières de Macbeth pendant une représentation du Globe avec présence de Shakespeare - d’ailleurs, c’était l’Histoire qui commandait ces épisodes, qui les limitait par leur date, qui les figeait dans leur localisation) oui, aussi bien que des errances dans les espaces intersidéraux où les rencontres d’autres civilisations variaient à l’infini mais étaient finalement toujours pareilles – sans, donc, adopter la formule Docteur Who on pouvait librement construire des voyages au long cours du genre 20001 Odyssée de l’espace ou mieux encore peut-être du genre Star Wars.

          On n’était pas obligé tout de même, si on voulait écrire dans ce  contexte illimité mais déjà frayé par d’autres, de se cramponner aux schémas qui semblaient traditionnels, relevant même du stéréotype. Plongée dans l’infini de l’espace, pour une mission ou pour échapper à un cataclysme planétaire, donc se lancer hardiment dans l’aventure ou fuir une destruction qui n’aurait laissé vivants que quelques individus (mais attention : comme dans les micro-sociétés de Jules Verne, où sur cinq membres évadés d’un camp de sécessionnistes il y avait un cerveau, un ingénieur-géologue, un hercule capable de tous les gros travaux, un cuisinier connaisseur de toutes les ressources nutritives et un jouvenceau dont le voyage fera figure d’initiation – pas de blague, il faut des compétences selon les besoins, non mais !), l’expédition quels que soient ses motivations ou ses buts naviguait entre planètes et constellations en recréant un microcosme dont on ne pouvait éradiquer les sentiments et réactions des humains sous peine de fausser l’axe même de l’invention. Certes les évolutions de l’engin spatial se situaient sur l’infini du ciel, mais c’était à l’intérieur du vaisseau que les conflits demeuraient, nés des jalousies, mesquineries, volontés de puissance, haine ou désirs de vengeance : rien de changé, au fond, aux quatre murs d’une prison regroupant quelques individualités, puisque même les dispositions amoureuse y trouvaient parfois place, avec leurs séquelles en tout genre..

          En outre, s’il y avait quelque contact avec des ressortissants d’une autre espèce (difficile à imaginer ; les variations dont l’invention sans limite de Doctor Who  faisait défiler les monstres hideux ou déshumanisés n’induisaient aucune nouveauté dans les intrigues), que ce soit un rescapé recueilli par pitié ou des hordes hostiles dès qu’un débarquement était tenté, ces affrontements ou ces coexistences gardaient les mêmes schémas de base. Violence, incompréhension, brutalité : même lorsque les voyageurs de l’espace étaient choisis comme modèles, c’était pour s’emparer de leur personnalité, et les intrigues tournaient en rond. Et si les guerres disposaient d’armements sophistiqués pour lesquels, là encore, les imaginations sollicitées et pressurées n’offraient rien de sensationnel malgré le renfort des effets spéciaux se surpassant d’une réalisation à une autre, les fondements des conflits restaient immuables, faisant varier les détails mais incapables de se renouveler : colonisation de peuples pour l’espace vital, pour l’eau, pour l’air, désir de conquêtes, ambitions personnelles ou collectives, nil novi sub sole. Non, rien de nouveau sous le soleil et même bien loin de lui, dans des galaxies où il n’avait plus sa place ni son importance

          Il avait revu récemment un épisode de Star Trek 3 : la numérotation indiquait bien qu’on reprenait les mêmes et qu’on recommençait (mais c’était trompeur : combien de fois Les dents de la Mer  pouvaient-elles entretenir la curiosité du public et son amour des frayeurs ?). Il avait retrouvé ces visages couturés, en cuir repoussé, avec les piqûres sellier en relief, marquant une différence notable avec les visages humains ordinaires et cependant conservant les yeux, le nez, la bouche sous les postiches de moustache et de barbes à la pousse inédite – il fallait bien tout de même que d’un seul coup d’œil on pût voir qu’il s’agissait d’individus compatissants ou de brutes sanguinaires et réduites aux instincts les plus barbares. Et les vêtures à l’antique, surtout chez les demoiselles, muettes comme il se doit mais figurant des encadrements chorégraphiques pleins de majesté autour des chefs, et les cuirasses vestiges d’un attirail médiéval dépassé, et les tenues en péplum agrémentés de pierres de couleur ou de traînes pourpres, tout cela essayait de se renouveler mais sans jamais y parvenir (qu’importait d’ailleurs ? le public familier admirait béatement ces plates variations sur un thème commun sans jamais se plaindre de l’incongru du spectacle). Et les poses hiératiques des chargés du commandement, et les évolutions dans des décors immenses évoquant aussi bien le béton soviétique que les architectures du Troisième Reich, et les comportements d’esclaves des troupes constituant la garde rapprochée des super gradés (oh les casques des militaires, tirés d’un musée du costume de l’armée depuis les Perses jusqu’aux bataillons du préfet Papon de mai 68), rien qui ne fût un élément de l’histoire des civilisations depuis Adam et Eve.

(à suivre)

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