Il y a quelques mois – et en outre c’était une journée de printemps radieuse – à l’occasion d’une invitation à déjeuner dans l’un de ces petits bouchons chalonnais qui, regroupés tout au long de la rue principale de Saint-Laurent, font honnêtement concurrence à la lyonnaise et réputée Rue des Marronniers – j’avais senti battre mon cœur en revoyant, depuis l’Ile d’Amour, ma bonne ville s’étirant le long de ses quais fleuris, depuis le quartier Sainte-Marie où, me dit-on, l’orme à Manon a quitté le sol qui nourrissait ses racines depuis le XVIIIème (pourquoi pas depuis 1728, la première publication de l’inusable Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut ? il n’est pas interdit de rêver). C’était un retour à l’enfance dans les années heureuses, la baignade du père Chaudron un peu plus loin sur la rive, après la Municipale, et, à l’autre bout du quai, le pont des Dombes réservé au chemin de fer céréalier qu’on appelait le Transpanouillard. Le soleil, la Saône, la beauté, l’enfance… le bonheur ! J’y suis revenue samedi pour signer mes livres, j’y ai fait des rencontres chargées d’émotion, une ancienne étudiante de Saint-Etienne qui se rappelait mon cours sur « Maître et serviteur » - un beau thème de littérature comparée, avec Marivaux, Goldoni, Goldsmith Brecht… tout un programme – et des amis proches, très proches, lointains, tous fidèles…. Mais une dame (pourtant du genre lectrice) après avoir longuement feuilleté mes Contes de Noël, au point que j’ai soupçonné un instant son intention de les apprendre par cœur, me dit sèchement « Mais il n’ya pas de table des matières ! » et, devant mon effarement, repousse avec bruit de livre indigne. Cette dame ne doit certainement pas être chalonnaise, je tiens le pari avec qui le voudrait.