J’ai accompagné hier un vieil et cher ami dans son dernier sommeil. Je n’étais pas retournée au crématorium depuis presque quinze ans, et j’ai été ahurie des changements que j’y ai trouvés. D’abord il y a plusieurs bâtiments qui n,’ont plus l’air d’une remise, mais qui de l’extérieur, malgré une certaine recherche d’élégance dans leur design, évoquent plutôt un centre commercial sélect qu’autre chose. A l’intérieur, luminosité tamisée, murmures de jets d’eau, bassins impeccables, toute une atmosphère de détente pour ceux qui restent sinon de réconfort. L’affichage est discret et efficace (indication des horaires de fonctionnement correspondant à tel ou tel nom par panneaux comme dans une gare, plantes vertes, passages feutrés mais tout de même effectifs du maître des cérémonies quand il s’agit, parmi les foules qui attendent en s’entretenant à voix basse, de sélectionner celle à qui l’entrée des lieux du dernier adieu est enfin permise). Tout se déroule sans accroc, chaque famille organisant la cérémonie à son gré de manière à mieux, plus tendrement, évoquer le disparu et entourer ceux qui restent. Et tout autour, un domaine à l’américaine : une esplanade, des bosquets, des avenues qui se recoupent, des ronds-points pour éviter ( ?) de se perdre, des pelouses aussi impeccables que le macadam du circuit routier, des étendues d’herbe soignée, des rideaux d’arbres… Et à proximité – juste une avenue à traverser – le golf ; signe éminent de classe et de fortune. De quoi évoquer – mais avec distinction – la moralité peinte sur les enseignes des bistrots d’autrefois donnant sur les cimetières : « Ici c’est mieux qu’en face ». Ce n’est pas dit en ces termes, c’est sous-entendu – mais l’invitation, ou du moins la constatation, est la même.