Rien ne peut être plus tonique, plus euphorisant pour moi que ces contacts d’amitié qui se sont peu à peu établis avec ce petit groupe de fidèles, enhardis désormais jusqu’à concrétiser leurs réactions à mes propos. C’est un peu comme si leur oreille avait fini par prendre l’envie de se mettre à parler (vous la voyez, j’espère, cette oreille qui se met à bouger les lèvres ? On a depuis longtemps donné un nom aux licences poétiques, mais on n’a pas encore trouvé d’étiquette pour ces hardies figures de style qui contreviennent à toute logique et auxquelles cependant certains auteurs se croient autorisés avec entêtement - suivez mon regard). Oui, j’en suis arrivée à ce point revigorant où je me félicite de n’avoir pas jeté le froc aux orties, comme j’ai pendant des années eu envie de le faire – car que signifiait cette manière de s’adresser chaque jour à des belins-belines muets, sans doute disciplinés (sauf bien entendu les deux du fond, ces cancres qui causent au lieu de faire leur miel de mes discours) mais ne se manifestant pas par le moindre commentaire ? Comme Narcisse ne contemplant dans l’eau des sources que la beauté de son visage, j’allais finir par m’enivrer de ma pauvre voix – ou m’en décourager jusqu’à mettre la clé sous la porte. J’ai bien fait de tenir…Moi qui pensais n’exister que dans une clairière cernée par des sous-bois où le soleil ne s’aventure pas, tandis qu’une fois franchie l’orée de la forêt la plaine toute baignée de lumière et descendant en pente douce jusqu’à la rive où les autres se baignent ne gardait de mon passage ni trace ni ombre, voilà que mon ombre s’est dessinée, voilà que mes pas laissent une trace …Serait-ce à dire que j’existe ?