La prochaine fois que je reçois une convocation pour le Commissariat de Police, je demanderai bien poliment si'il ne serait pas possible à la maréchaussée de se déplacer jusqu'à mon humble demeure, ça m'arrangerait (c'est vrai : je devrais téléphoner à l'agence des taxis - une bonne vingtaine de minutes à attendre, sans impatience parce qu'on s'occupe de moi, ça aussi c'est vrai, ils me le répètent toutes les trois secondes sur fond musical - sans garantie d'avoir une voiture pour le retour, perdue que je serais là-bas dans un quartier où je ne vais jamais traîner mes guêtres). Auront-ils pour moi les attentions qu'ils ont pour Mme Bettencourt? J'en doute, mes belins-belines! De toute façon, il n'y a rien chez moi qui puisse tenter un enquêteur tout ému de se trouver là-bas au milieu des plafonds à moulures, des dorures tout partout, des meubles anciens ou exotiques, d'une décoration de rêve : l'ensemble vaut le déplacement jusqu'à ces aîtres, chez moi il n'y a rien à voir. Donc il y a peu de chance pour qu'ils se plient aimablement à mon aimable invitation. Oh je sais comme ils sont. C'est qu'ils m'ont déjà fait venir, l'oreille basse et la bouche cousue, oui, moi, sans la moindre réplique et profil bas! Je ne vous cacherai rien de mes actes. En 99, le 2 janvier, nos amis américains Jerry et Shirley arrivent en France pour six mois de résidence à Dijon. Nous allons les chercher à Roissy, un peu affolés du volume des bagages. Coffre plein, trois passagers serrés à l'arrière avec des valises sur les genoux, un empilement de divers conteneurs sur le siège avant, montant si haut que le conducteur ne pouvait rien voir par cette fenêtre ni sur le rétroviseur de droite. Bonne occasion de foncer sur la francilienne, si peu engageante qu'on a envie de la quitter au plus vite. Pendant cette traversée de l'Ile- de- France, radar, sifflet peut-être (en tous cas personne ne l'a jamais entendu). On rentre sans pépin, nos Américains s'installent, on ne pense plus au voyage. Seulement c'est moi qui reçois la convocation de la police quelque temps après, car la voiture était assurée à mon nom... C'est moi qui ai droit à l'algarade, on me fait honte, est-ce que je ne perds pas toute conscience et tout civisme à foncer sans tenir compte de la limitation de vitesse? que j'aurais bien pu écraser des passants voire des enfants et en conséquence on me retire trois points sur mon permis, mais j'ai la possibilité de me racheter si je viens faire un stage de conduite chez eux, je pourrai regagner des points. Profil bas et bouche cousue : je ne les remercie même pas de leurs attentions délicates. J'aurais peut-être dû...
Lucette DESVIGNES.
