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Je sens monter en moi des velléités de grammairienne dont on vient de caresser le dos dans le mauvais sens du poil. Je pratique depuis peu – et je crois bien que cela ne durera pas – la lecture des commentaires qui sont proposés par les lecteurs du journal local sur les ailes de la toile (j’aimerais bien, au fond, savoir ce que ça donne, les ailes de la toile, ça ne doit pas voler bien haut – tant pis : j’ai écrit les ailes de la toile, je persiste et signe, penaudement). La lecture de ces commentaires me consterne souvent. Même quand, une fois démêlée du charabia ambiant, la pensée se manifeste à peu près dans une direction que je serais prête à prendre – ce qui n’est pas toujours le cas – les bras m’en tombent de voir la manière dont l’expression s’ordonne et s’orthographie. Le style des correspondants qui se lisent et se répondent sur-le-champ, parfois sans tendresse (mais ils se voudraient plus mordants qu’ils ne réussissent à être, parfois c’est assez lamentable) est entaché des pires fautes, de celles qui ne passeraient pas au certificat d’études défunt. J’ai trouvé hier un « elles se sont faites expulsées » fort réjouissant (je parle de l’expression, et bien entendu sans me réjouir du fait lui-même) : sans doute cela serait-il passé sans encombre à l’oral, mais dès que les lettres interviennent, ah ! malheur… Aurait-on l’idée de dire « Elles se sont faites mordues » ? Même pas « Elles se sont faites mordre »… Et pourtant, cette même forme, cela s’écrit sans frémissement, et en sachant que tout le monde va lire ces propos – alors qu’on pourrait plus facilement espérer les cacher dans une lettre destinée à une seule personne. Que voulez-vous ! c’est la faute à ce premier groupe aussi, à ces conjugaisons dont le participe passé et l’infinitif sonnent pareillement à l’oreille ! Depuis qu’on a vu « Omar m’a tuer », on se croit tout permis. L’Académie, qui trouve qu’entériner les pires laxismes ça fait jeune (et qui a bien besoin de se rajeunir) va sans doute très vite « donné le thon » et nous « fer acceptés » le pire. Attendons au moins sa décision avant de nous y soumettre.
Lucette DESVIGNES.
