Vous pensez bien que je ne voulais pas terminer, fût-ce après une explosion contemporaine de délire, sans mentionner « Hell’s a poppin’ », ce « L’Enfer éclate » qui a lui tout seul constitue un autre unicum au rayon du comique (d’ailleurs pas si isolé que cela, puisqu’à la même époque « Les Branquignols », dans son traitement particulier, offrait la même expérience au public français : des gags en série, des situations hilarantes et grotesques, des embrouillamini savants). Le thème – représentation d’un spectacle hurluberlu qui naturellement rate dans tous ses numéros – se prête au morcellement : chaque numéro du programme contient son style de grotesque, si bien que l’effet comique se renouvelle perpétuellement, dans ses extravagances et ses échecs calculés. Ce fil conducteur offrait une facilité à laquelle Kulturica s’est refusé (en outre, dans le film américain, l’enjeu de la réussite du spectacle était le mariage des deux « metteurs en scène » dépassés par les événements : tout rate, mais c’est cette loufoquerie qui séduit le producteur, donc rien n’est perdu). « Chat noir, chat blanc » juxtapose des morceaux – l’idylle des jeunes, le troc avec les Russes, la noce, le trafic des faux cadavres, l’équipée du grand dadais à moustaches, le rôle du Danube devenu finalement symbole… - en patchwork insolent : il faut suivre…Avec « Hell’s a poppin’ » ou « Les Branquignols », il fallait suivre aussi, c’étaient deux productions absolument désarçonnantes pour l’époque. Puisque Kulturica nous désarçonne de même manière quelque soixante ou soixante-dix ans plus tard, il faut admettre que le déjanté de notre temps est encore plus fracassant que le loufoque du milieu du siècle passé….Avez-vous un avis ?
Lucette DESVIGNES.