Ne croyez surtout pas, mes belins-belines, que je veuille faire concurrence aux dames de la météo qui me concurrencient dans le domaine de l'édition. Point du tout! Je veux seulement vous signaler que je me sens pleine des devoirs de ma charge, et que, donc, je me plonge dans les délices de la page d'écriture même à une heure avancée. Vous savez peut-être ce que c'est, vous du moins les dames, que de préparer un bon déjeuner où tout doit être fait à l'heure et où rien ne manque (pas même le Corton Charlemagne - peut-être même ne savez vous guère ce que c'est, ça ne m'étonne pas, ça n'a aucun rapport avec le sauternes dont vous faites sans doute des folies. Hérésie!). Notez que je ne devrais pas mettre un point suivi d'un mot avec majuscule à l'intérieur d'une parenthèse, mais j'ai senti brutalement le besoin, mais oui, l'impérieuse nécessité de mettre en exergue ce terme de blâme pour qui oserait mettre un vulgaire bordeaux en face d'un des plus nobles et des plus rares bourgognes blancs. Donc, mes belins-belines, il y avait tout ce qu'il fallait pour que le déjeuner fût de qualité et servi à l'heure - raison déjà suffisante pour me sentir un peu flappie après la bataille. Mais imaginez que j'ai dû encore passer l'après-midi ou ce qui en restait à nettoyer mes fichiers, opération d'hygiène que je n'avais jamais osé entreprendre seule. Aujourd'hui, sous contrôle compétent, j'ai nettoyé mes fichiers (en vérité j'ai regardé faire la compétence en donnant mon avis sur ce qu'il fallait conserver ou rejeter aux oubliettes, mais je vous assure que ça m'a exténuée autant que l'informaticien chargé du tri, je me suis sentie depuis son départ aussi moulue que si j'avais passé le balai dans ma cuisine). Pourtant, vous le constatez, je suis fidèle au poste. Vous aurez mes propos d'aujourd'hui sans faute, même si vous ne devez en prendre connaissance que demain. J'espère alors que vous aurez pour moi, enfin, une pensée reconnaissante et câline, en estimant à sa juste valeur la noblesse de mon geste : rien à vous dire, mais décidée à le dire quand même en s'imaginant que sans cette page d'écriture la France connaîtrait la crise. Pour un peu, on croirait que je m'essaie à me hausser au niveau parisien : rien à dire, mais démangeaison de le dire tout de même et démonstration en cent cinquante pages de la proposition de départ. Avec cette différence malgré tout : avec moi, mes belins-belines, vous n'avez pas à acheter le livre, on ne peut pas m'accuser de faire un coup médiatique ou éditorial (ça, à Paris on sait le faire, moi je sais pas), vous pouvez me lire gratuitement. Quand je vous dis que vous avez de la chance de m'avoir, vous ne voulez pas me croire. Vous me donneriez presque envie de rompre là. D'ailleurs ça me donne une idée, il est tard, je tombe, tâchez de ne pas oublier de dire bonjour à vos chats demain matin si ce soir vous êtes déjà couchés. Il ne sera pas dit que vous fainéanterez seuls, je cours vous rejoindre (dans mon lit personnel s'entend, celui que je ne partage qu'avec mes chats).
Lucette DESVIGNES
Mais oui, mais oui, je manque d'imagination, c'est bien connu. Et qu'est-ce que j'y peux, moi, pauvrette? Deux jours de suite le même titre à peu de chose près (le deuxième jour répété avec arrogance, qui mieux est) alors que dès la première fois il avait eu besoin d'être accompagné d'excuses et de précautions oratoires pour être admis... Eh bien que voulez-vous, c'est ce soleil qui me fait perdre les pédales. Tous ces jours qui se suivent sans nuages ou presque, avec une telle effusion que je suis obligée de baisser mon store intérieur (davantage d'ailleurs pour protéger mon ordi que pour me protéger personnellement : je suis même résignée à avoir tout cet été la joue gauche plus foncée que la joue droite, car elle reste exposée aux rayons pernicieux et certes il n'est pas question d'appeler ça du bronzage - vous avez déjà vu bronzer un navet, vous? - mais il y a tout de même une coloration plus intense du côté exposé au sud, avec un peu de malveillance on pourrait dire que je prends mon petit déj' au pinot gris). Avec le soleil tous les projets paraissent réalisables, c'est donc le moment d'en faire - et j'en fais, mes belins-belines, vous pouvez pas savoir! Je sais que je vais rencontrer le super ponte universitaire de l'Ohio le 23 mai, et vous imaginez bien que nous allons avoir à parler de mille choses sérieuses, eh bien je ne pense qu'à la tenue vestimentaire qui m'avantagera ce jour-là, non pour le séduire mais pour qu'il ne croie pas avoir affaire à une croulante toute prête à ne pas passer le week-end suivant - et je vous assure qu'il y aura un gros effort à faire, c'est pourquoi j'y songe dès maintenant. Mais ça me distrait de mes obscures et indispensables tâches, lesquelles me pompent littéralement la substance, d'autant que derrière le Tome 2 à peu près bouclé se profile déjà le Tome 3 (qui ne va pas être piqué des z'hannetons, celui-là). Le Tome 4 et le Tome 5 sont encore à peine distincts des brumes des Limbes, j'en prends des suées rien qu'à imaginer tout ce que je vais avoir à faire là-dessus pour mettre les choses debout, on n'en est même pas encore au brut de décoffrage du sommaire, c'est vous dire. Et ce qui me désole le plus, c'est que pendant que je suis absorbée pompée sucée vidée par le contrôle de ces traductions - qu'il va bien falloir faire comme il faut pour les dates-butoirs, pas question autrement - je cesse d'avoir de l'inspiration pour écrire. Bien sûr je vous écris à vous, mais vu votre compréhension, votre présence, votre chaleureuse attention, mes belins-belines, c'est un peu comme si je vous parlais, j'appelle pas ça de l'écriture (si je vous écrivais, par exemple, ici j'aurais mis une négation que je saute volontiers quand je parle). Je viens de terminer une longue nouvelle, mais elle m'a pris beaucoup de temps, et une nouvelle à mon avis ça doit s'écrire dans la foulée, d'un seul élan sinon d'un seul jet. Je vais la mettre de côté quelque temps pour la relire avec un oeil neuf, à ce moment-là seulement je verrai si je peux en faire quelque chose ou si je lui fais honte en lui donnant le bonnet d'âne. Qu'est-ce que vous voulez, mes pauvres belins-belines, les réflexes du premier métier sont tellement ancrés dans le derme qu'ils se manifestent tout seuls - et chez moi le bonnet d'âne, les coups de règle sur les doigts réunis, le piquet, la privation de récréation, ça a été mes jouissances profondes: pensez à Zazie qui veut être maîtresse d'école pour pouvoir faire chier les mômes (citation). Bises aucx minets!
Lucette DESVIGNES
Vous avez déjà pu voir, mes belins-belines, que mes titres ne sont pas toujours fiables, comme on dit des freins d'une voiture. C'est vrai, ça, comme dirait la Mère Denis : on a une idée qui vous traverse l'esprit en vitesse, vous la cueillez au passage, le temps de la retranscrire (quel que soit d'ailleurs le medium employé) elle est défigurée, en partie effacée, si même elle n'a pas joué complètement et irrécupérablement la fille de l'air. En outre, si c'est cela qui se passe avec une idée tout compte fait envisagée assez nettement, que ne se passera-t-il pas avec une idée à peine entrevue,qui ne vous avait déjà pas laissé voir ses formes ni son visage quand vous aviez cru qu'elle vous approchait alors que c'était seulement une écharpe de brume ? (vous voyez quand même que, à défaut d'idée précise sur les idées à retenir pour l'entretien du jour, je ne perds jamais ma faculté d'expression poétique : que voulez-vous, c'est inné, c'est génétique dirait-on volontiers dans les laboratoires du maïs ou des maladies qu'on ne sait pas soigner, c'est la pincée de fleur de sel sur la purée, c'est la persillade aillée sur les haricots verts à l'anglaise, c'est le gingembre sur la salade de fruits, bref c'est la cinquième roue du carosse mais tout compte fait c'est indispensable si l'on veut qu'à l'utile soit joint l'agréable). Donc, mes belins-belines, je vous fais remarquer qu'à l'utile je ne cesse de joindre l'agréable. Vous avez donc aujourd'hui une vision ensoleillée de nos entretiens - libre à vous de suivre ou de ne pas suivre ce jugement partial qui me plaît bien, à moi, qui même me rend toute jeunette, soleil, printemps, lilas, muguet, si le patronage du soleil ne vous convient pas, tant pis pour vous, gardez vos humeurs chagrines mais surtout ne nous les communiquez pas, nous n'en aurions que faire. Pour autant je n'ai pas la moindre intention de vous parler du soleil. D'abord il se suffit à lui-même, n'est-ce pas? Ensuite, j'ai déjà évoqué la climatologie, on y reviendra quand on sera plongé dans le corps des romans, j'ai même parlé des dames de la climatologie quotidienne, j'ai même précisé qu'autant elles ne me gênent pas lorsqu'elles font leurs petites chorégraphies minaudières en exhibant leurs tenues "in" en accord avec le temps du dehors (comme autrefois les cravates ou les pochettes des météorologues variaient comme les baromètres miraculeux avec leurs papes ou leurs vierges qui passent du rose au mauve selon l'humidité de l'atmosphère), autant je les voue aux gémonies lorsqu'elles se lancent sur le terrain de la littérature. Je ne me sens pas gardienne du temple, mais tout de même elles n'ont rien à faire dans nos romans, ces sophistiquées-là qui jouent sur la récurrence de leurs apparitions sur nos étranges lucarnes pour fiare croire qu'elles ont du talent. Bon, je m'arrête dans ma diatribe : elles font suffisamment de dégâts question vente de leurs livres, si en plus de ça je m'arrange pour qu'elles me gâchent mon soleil d'aujourd'huit, ça serait bien un comble. Mettez vos chats au soleil, ils adorent. Et vous, belins-belines, à demain, même s'il pleut.
Lucette Desvignes.
Oui, mes belines-belines, ce dimanche - hier - je vous ai fait faux-bond. Vous le savez, ce n'est pas mon habitude de vous rationner, j'aurais plutôt tendance à vous gaver et je suis bien convaincue que si certains d'entre vous m'ont quittée (?) c'était plutôt à cause du gavage qu'à cause du rationnement. C'est dailleurs plutôt aux fidèles que je m'adresse, c'est à eux que je présente mes excuses pour ma défection d'hier, mais que voulez-vous, quand les Salons vous réclament il faut bien leur obéir! (ça me rappelle un thème pour une année de rencontres culturelles, d'après Blaise Cendrars je crois : Si on aime il faut partir. On me pardonnera peut-être de ne pas être d'accord avec Blaise Cendrars : soit je ne comprends pas ce qu'il a voulu dire, soit je ne partage pas sa philosophie. Alors, imaginez, quand une saison culturelle entière est bâtie sur ces sables mouvants... Eh bien y a eu beaucoup de gens qui se sont manifestés pour illustrer la chose, bravo les gars. C'étaient probablement des gens à la comprenette mieux affûtée que la mienne, que voulez-vous, il faut de tout pour faire un monde). Tout cela pour dire que j'étais au Salon du livre d'Autun, que j'y ai reçu l'accueil habituel, atmosphère convivialité vieilles connaissances locales, visiteurs nombreux et intéressants. C'est toujours l'occasion de se retremper dans une ambiance où non seulement le livre est roi, mais où en outre tous ceux qui en vivent pataugent avec bonheur entre les tables, avec leurs problèmes, leurs exigences, leurs rouspétances (en général motivées, sauf celles d'un énergumène de la capitale, acteur et écrivain [qu'on dit, qu'on dit, mes belins-belines, mais faut pas toujours croire ce qu'on dit], accueilli depuis deux ou trois ans sur les salons locaux entre un shoot et une biture, toujours assez dopé pour se plaindre de tout avec des éclats de voix tonitruants et un langage de charretier plein de nouveautés linguistiques, à se demander d'abord pourquoi on le fait revenir - mais la réponse est vite là : Vu à la télé... Donc les foules se pressaient devant sa table, c'est certainement lui qui a fait le plus beau chiffre d'affaires. Heureusement que la Télé existe, mes belins-belines, sans ça ce pauvre homme d'abord on saurait même pas qu'il fait dans la culture, et ensuite on saurait même pas que sa fille a eu un César ou un Molière ou un Oscar, même que pour la cérémonie elle portait un petit melon, oui c'est comme je vous le dis, moi je le sais parce que je l'ai vu à la télé, mais oui comme tout le monde et vous aussi sans doute, mais quoi, vous n'avez pas comme moi la mémoire des non-événements dont il faut parler avant qu'un irréparable oubli ne vienne les ensevelir). "Peste! dirait le Sosie de Molière, où prend mon esprit toutes ces gentillesses?"Vous voyez, mes belins-belines, comme d'un mal vient un bien : je n'aurais jamais cru que l'évocation par la bande dudit personnage aurait pu susciter pareille débauche de beau style. Je vous parlerai demain des tentatives d'un vigneron pour devenir écrivain, ça vaut son pesant de moutarde. A demain donc, les fidèles. Saluez tout aussi fidèlement vos chats et celui du voisin.
Lucette DESVIGNES.
Oui, mes belins-belines, ça sera court aujourd'hui. Je vais ameuter les foules (celles de mes lecteurs et lectrices, vous l'avez bien compris) ou voir si elles sont décidées à venir me voir au salon du livre d'Autun (mais oui, mes belins-belines, vous voyez que je me refuse rien, je suis souvent l^hôte des capitales, je vous en avais pas parlé par modestie mais des fois la vérité éclate au grand jour, eh ben voilà, je vais deux jours au salon du livre d'Autun, remplir mes poches de droits d'auteur à toucher dans dix-huit mois comme de juste - si, d'ailleurs , il ne m'est pas tombé un,oeil dans l'intervalle ni surtout si mon éditeur n'en a pas perdu un, mais ça c'est fort probable - et d'abord et avant tout remplir mes petits carnets de griffonnages pour occuper mes longues heures de farniente (je n'ose tout de même pas tricoter, ça baisserait le niveau intellectuel du lieu, mais je grifonne, les passants passent vite, étouffés par le respect pour quelqu'un qui ne s'accorde même pas le temps d'admirer le paysage). Bref je ne chôme pas, et même vous voyez que j'ai tâché de vous faire un petit coucou-bonjour même alors qu'on va m'emmener (à Autun, je répète, pas à Charenton comme vous pourriez le croire). A demain, les chats et vous.
Lucette desvignes.
Oui, la chance, nous l'avons dans la région. Je suis (d'un oeil endormi d'ailleurs, je l'avoue) les gestes des marionnettes de la climatologie appliquée - aucun rapport, au passage, avec celle dont je vous vante les mérites et beautés lorsque mon humeur s'y prête - avec leurs silhouettes adaptées : minces comme un fil, ces bonnes femmes, et l'air culotté, et le bagou inendiguable, est-ce qu'elles ont appris leur leçon ou est-ce qu'elles débitent n'importe quoi, pourquoi pas le texte d'hier ou de la semaine passée, l'essentiel étant qu'elles ne s'arrêtent ni dans leurs gestes caressants et autoritaires à la fois, ni dans leur débit semblable à celui d'un fleuve en crue?). Si j'avais quelque énergie ou quelque curiosité (mais, mes belins-belines, tout ce que je possède en ce domaine vous est réservé, oui à vous, consacré, en exclusivité, il ne me reste rien pour mon petit particulier) j'essaierais de voir si d'une chaîne à l'autre elles disent la même chose. Je n'en suis pas si sûre, au fond : si vous passez d'un système à un autre, les nuages bougent ou ne bougent pas, il y a des flèches partout qui bougent, elles, vous avez des grands dessins compliqués qui recouvrent les croquis, (toujours en direction de la droite, vous avez remarqué? on pourrait gloser là-dessus, hein?) si bien que vous vous étiez à peine repérés à partir de la Bretagne (celle-là on la reconnaît bien, tout de même) qu'on vous bouscule votre panorama météorologique, qu'on vous roule dans les grands gestes de bras et de main en danseuse comme si vous étiez une faible épave dans les plis d'une houle marine (mon dieu il y a des jours de grâce de temps à autre : aujourd'hui c'en est un, je voulais parler seulement du beau temps qu'il fait chez nous - même si Charbonnier-beau-Sourire ignore que Dijon existe : elle parle de Langres ou de Trifouillis-les-Oies, mais Dijon elle ignore, ni moutarde ni Kir ni mignonnettes fourrées à l'abricot - seulement du beau temps, oui, qui nous tombe dessus depuis trois ou quatre jours comme si on l'avait mérité et sans besoin d'une annonce particulière sur les étranges lucarnes, et puis finalement je suis bien obligée de vous signaler que la chance pour moi s'étend jusqu'à la puissance poétique : constatez je vous prie qu'elle ne m'est pas refusée même si nous ne sommes encore pas à la fin de la matinée (cela me rappelle qu'une de mes petites amies, lorsqu'elle allait en vacances chez sa grand-mère en Provence, l'entendait dire tous les matins, avant même huit heures : "Sylvette, allons debout, la matinée s'avance, on sera bientôt à la tombée de la nuit"...- et de fait la ratatouille était déjà cuite, les oignons d'abord, les aubergines, les poivrons, les tomates, les courgettes, le tout séparément, et vous savez que séparément ça prend rudement plus de temps que si vous vous contentez de vider dans votre casserole un sac de surgelés tout prêts). Pour nous, mes belins-belines, la matinée n'est pas encore trop avancée, mais je suis sûre que je vous ai déjà soûlés de mes parenthèses et de mes incises, pour ne rien dire du corps du texte qui, lui, reste fidèle à ce qu'il doit être. Fidèle à moi, en tous cas : c'est vrai qu'il m'obéit bien, au doigt et à l'oeil, mais mes chats aussi m'obéissent parfaitement, de quoi laisser les non connaisseurs incrédules. Oui, mes chats m'obéissent, vous devriez les voir quand je descends au jardin et qu'ils accourent de toute part pour me faire une haie d'honneur ou un cercle d'affection. La chance, je vous dis, je l'ai dans ma poche. A demain, laissez sortir vos chats, ils ont eux aussi besoin de soleil. Soignez-les bien.
Lucette DESVIGNES.