Cette formule si difficile à orthographier pour le clavier français (il eût fallu un circonflexe renversé sur le a final, pour bien faire, pour l'empêcher de se
prononcer a comme chez nous) m'est parvenue de Roumanie, sur une petite carte de Nouvel An. Fla nquée, bien sûr, de deux chats adorables, chatons encore, angoras, l'un blanc et l'autre gris -
bref, l'amour. Et le sens est inclus, "Toujours ensemble!". Belle trouvaille pour symboliser l'amitié, perpétuer la reconnaissance, proclamer la tendresse indéfectible. J'aime la laisser trôner
sur mon bureau, tout contre mon clavier sur lequel je m'active tant d'heures dans la journée (c'est vrai : moi qui étais si rétive au progrès, qui méprisais le rendement informatique tant
que j'avais mon bloc et mon bic, qui prétendais même que le processus de l'écriture ne serait pas le même si je cédais à la tentation de l'ordi, me voilà accro, pour parler comme les jeunes
branchés! Dans mon entourage on a tout fait pour me dissuader de me lancer dans cette entreprise de rénovation de mon expression : je n'aurais jamais la patience, la présence d'esprit, la
compétence technique, je mouillerais ma chemise heure après heure dans les premiers temps, certes une fois qu'on est bien rodé ça peut être merveilleux
l'informatique, mais pour atteindre à ce niveau-là, il faut bien reconnaître la vérité : beaucoup d'appelés, peu d'élus etc. etc... jusqu'au jour où, telle la chèvre de fort tempérament, j'ai
décidé toute seule de me lancer, d'où l'achat, l'installation de manière à ne pas restreindre l'espace vital de mes chats, l'apprentissage, les tâtonnements, les transpirations abondantes,
les occasions de désespoir, les envies violentes de tout envoyer par la fenêtre. Et puis finalement, mes belins-belines, le contact avec vous, palier terminal succédant à nombre d'étapes
intermédiaires et progressives avec avancées, reculs navrants, folle gloriole, accablements profonds, bref, la vie en raccourci, la frappe de mes textes en beauté avec d'insouçonnées facilités de
disposition et d'arrangement, les problèmes à résoudre - seule ou avec le dépanneur, brave jeune homme si dévoué - et les mystères qui résistent à toute analyse logique, si compétent que soit
l'homme de l'art). Ouf! Je ne clos la parenthèse qu'ici, bien à sa place, contenant un développement logiquement déroulé de A jusqu'à Z : qu'on ne m'accuse pas de ne pas savoir
comment gérer mes parenthèses, je le prendrais fort mal je vous assure. Maintenant, qu'on m'accuse d'aimer les parenthèses, d'en user, voire d'en abuser, ça c'est une autre paire de manches, je
vous laisse totale liberté de m'en gourmander - étant bien entendu qu'il résulte de nos accords la totale liberté de mon côté d'en user et abuser jusqu'à plus soif.
Vous voyez déjà la confiance absolue que je mets en vous. Me voilà qui parle d'accords, comme si vous aviez une consistance autre que celle d'ectoplasmes! Je vous prête
des intentions qui, même si elles supposent la protestation, le mécontentement, la rouspétance, supposent du même coup entre nous des liens de fidélité à la conjugale (vous savez bien : joug
accepté pour la vie, grommellements autorisés, conflits). C'est que j'espère bien vous retrouver demain : de toute façon, si vous êtes indisponibles ou inexistants, j'ai assez d'imagination
pour vous recréer. Je vous vois là devant moi, foules mêlées et attentives, assez fanatiques pour avaler les parenthèses que je vous inflige - d'ailleurs, vous savez, quand on arrive à la fin de
la parenthèse, c'est exactement comme quand on arrête de se donner des coups de marteau : c'est un merveilleux soulagement. Allez, bon courage pour la journée - 'elle a encore le temps de
vous agresser sauvagement; si ça doit se faire, d'ici au coucher du soleil - et bonne nuit par là-dessus, après les mamours aux chats bien entendu.
Lucette Desvignes
Le numéro 13 de la revue "Studies on L.D. and French Contemporary Literature" - donc année 2003, facile à calculer - portait comme titre cet emprunt à l'un des derniers livres de Georges Duhamel . Vous voyez où je veux en venir : c'est la suite logique des derniers entretiens qui touchaient aux bêtes et insectes divers éparpillés ça et là dans mes bouquins. Les critiques universitaires blanchis sous leur armure de chercheurs en écriture et localisant leur quête entre mes nouvelles et mes romans ont eu pour la réalisation de ce numéro l'occasion d'analyser le fond et le tréfonds de mes liens avec ce monde animal et végétal auquel je me sens rattachée de toutes mes fibres. De même que je ne pourrais envisager de vivre sans chats ni jardin ni plantes en nombre dans les trois pièces entre lesquelles je me partage, de même je ne pourrais me passer d'en parler lorsque j'écris. Je ne le fais pas exprès, en accomplissement docile d'un principe de fabrication de l'écriture romanesque qui depuis les grands classiques du XIXème impose la présence de la nature (pratiquement toujours sous l'apparence de "la scène à faire") au moment des paliers important de l'action ou de l'intrigue. Je ne suis aucune règle, non mais des fois! Je suppose qu'après avoir passé une existence universitaire à tripoter la littérature d'autrui (et, mes belins-belines, vous m'entendez bien, de tout le monde : les grands les très grands les ratés les médiocres les figurant sur les listes d'estime on se demande bien pourquoi, tous je vous dis, tous, et de tous les pays où la civilisation de l'écrit a fini par triompher de la civilisation de l'oral - c'est vous dire si ça remonte à loin) après cette accumulation de strates où l'ennui accompagnait souvent l'enthousiasme de la découverte, vous comprenez que je n'aie plus besoin de principes de directives de règles, ni même de dérogations qui impliqueraient que je m'oppose à une règle. Non, je ne me plie docilement à rien du tout. Il y a en moi un fond de classicisme, de mesure peut-être, qui suffit à donner du poids à ce que j'écris, et tout le reste est littérature...Je peux donc me lancer dans le lyrisme avec un total élan, il reste fondamentalement terrestre, terrien même devrais-je dire (et là je ne peux m'empêcher de penser à Wollef débarquant aux Amériques, puis surtout s'installant en Pennsylvanie, en terrien, heureux du contact avec la terre l'herbe la forêt les collines la rivière, plein d'une rancune tenace contre l'océan, ce lieu des tempêtes et de l'incertitude, de l'infini monotone, de l'instabilité, de l'emprisonnement, de l'impuissance humaine; il y a beaucoup de moi qui est passé dans ces pages, il paraît que cela se sent, m'a-t-on dit à plusieurs reprises). Vous voyez qu'à un détour de chemin près on va retomber sur le biotope. Quand je vous disais qu'on en reparlerait, de celui-là....
Mais pas aujourd'hui si vous le voulez bien. Je n'ai naturellement pas d'autres chats à fouetter que cette apostrophe
quotidienne à des auditeurs-lecteurs totalement invisibles donc aléatoires et hypothétiques (vous voyez si j'ai du vocabulaire, hein? prenez-en de la graine, vous qui êtes peut-être là) - ou qui
n'êtes pas là , auquel cas ce serait bien le moment de présenter mes civilités à votre chat si y a personne chez vous. A demain si vous n'avez rien de mieux à faire.
Lucette Desvignes
Oui, pour éviter la confusion avec chat . Ce raffinement me rappelle une merveilleuse formule, au retour de voyage de noces de ma belle-soeur, de la laveuse de la famille qui avait depuis son tout jeune âge servi dans les grandes maisons (et ça lui collait à la peau, faut croire) : "Je souhaite à Mademoiselle beaucoup de bonheur. Mademoiselle me pardonnera de l'appeler encore Mademoiselle, c'est pour ne pas confondre Madame avec Madame". Moi c'est pour ne pas confondre chat avec chat. Au cas où des surfeurs de passage ne sauraient pas que ma maison est pleine de chats. Les voilà renseignés, à présent.
Pleine de chats, ma foi oui. En ce moment Clélie (autrement dite aussi ma Sauteuse, ma Grenouille, ma Bancaline) louche sur mon épaule droite pour s'y
installer et venir me lécher le cou avec application : après un long somme sans perturbation ni stress elle a besoin de s'activer. Moi pas, malheureusement : je m'active sans besoin d'elle depuis
un grand moment et encore pour longtemps). Sur le canapé derrière moi, la Mémère Minette Mimine a l'air de dormir, mais elle me guette : au premier frémissement de ma part, elle sera debout
pour me montrer le chemin de la cuisine, comme pour me rappler à des devoirs que je semble négliger. Pas de frémissements pour l'instant, ma belle. Le tout petit (c'est l'habitude qui commande
l'appellation : en réalité, depuis les jours où je le nourrissais au compte-gouttes toutes les deux heures, il a grandi d'incroyable manière) le tout petit donc, alias Darling Benjy, s'étale
d'autant plus victorieusement sur le fauteuil bressan qu'il a conquis la place en se glissant gentiment à côté de Betsy Belle, puis en lui léchant les oreilles innocemment, puis en la mordillant
avec de moins en moins d'innocence, enfin en se poussant contre elle de manière qu'elle n'ait plus le moindre espace vital; elle a préféré partir, c'est une paisible, voire une dédaigneuse, je
l'entends qui escalade le radiateur de la cuisine, c'est une bonne idée d'aller se chauffer le bedon. Bottines sur le radiateur derrière mon dos regarde par la fenêtre en doutant fort que le
soleil vienne nous voir aujourd'hui; elle n'aime pas l'humidité, elle tient à garder propres ses quatre petites bottines blanches, c'est tout ce qu'elle a de blanc sur un corps de réglisse,
à l'exception d'une petite barre blanche en baïonnette en travers du museau, comme si elle faisait constamment une grimace ironique (malheureusement c'est là l'air mais non point la chanson :
elle n'a aucun sens de l'humour, cette noiraude, elle n'a que susceptibilité à fleur de poil). Le gros Nounouss roupille à la cuisine sur un coussin, il ne va guère ailleurs, des fois qu'il y
aurait distribution de vivres et qu'il ne serait pas là, hein? Je sais que Foxy, le chartreux au nez pointu que je n'ai encore jamais pu caresser, depuis trois ans - oui! - qu'il vient chez moi
la nuit, est posté sur la troisième marche de l'escalier du sous-sol; il peut y rester des heures, non perturbé par les visiteurs qui montent ou qui descendent devant son nez ou de
préférence derrière son dos (il y a le choix : il se poste exactement au milieu de la marche, comme sur les marques à la craie qui servent de repère aux acteurs ou aux danseurs) et il attend qu'à
la prochaine ouverture du resto du coeur tout le monde soit servi, car alors je m'approcherai de lui avec des précautions de Sioux et je lui glisserai sa portion sur sa marche, la troisième à
partir du palier de la cuisine, sans le déranger. Django le roucoulant dort au salon sur mon fauteuil (je le lui reprendrai, il le sait, au moment du film en anglais de la soirée,
pour l'instant il met les bouchées doubles). Bulle est en vadrouille sur le terrain humide, elle croit que j'admire ses autographes lorsqu'elle revient les pattes pleines de boue (parfois même
avec de minuscules limaces coincées entre ses griffes, à la première occasion elle me les projette dessus comme un pourboire), or il faudrait tout de même que je lui apprenne à ne pas prendre mes
exclamations de dégoût et protestations diverses pour des compliments, mais jusqu'à présent elle n'a pas l'air de comprendre (ou se moquerait-elle? ça ne m'étonnerait guère, au fond, avec son
léger strabisme et son air adorant dès qu'elle me regarde je me demande si l'envie de rire ne serait pas de la partie). Et le petit Max doit être au sous-sol, attendant les bruits de gamelles
pour faire une apparition subreptice, rudement habile puisque je le vois sans que les autres aient pris conscience qu'il est là. Domino est en fugue depuis quelque temps déjà, je vais commencer à
m'inquiéter. Et ma Colchique m'inquiète, ma Douceur, ma Reinette, mon ange blanc...
Bon, ça va comme ça pour aujourd'hui. Je suis sûre que vous avez déjà zappé en nombre. Tant pis pour vous, vous n'aurez pas droit à mes salutations. Pour mes fidèles, belins-belines
qui avez tout lu ce que je vous disais de mes chats, pour vous, oui, il y aura toutes les effusions habituelles. N'oubliez pas de faire mes politesses à vos mirons. Je ne voudrais point que vos
oublis pussent passer pour miens. (Est-ce que là-dessus j'ose encore vous dire " A demain"?). Lucette Desvignes.
Dois-je vous le dire? Je suis persuadée que de vous-mêmes, mes belins-belines, vous avez dû y penser. Le mot chat me gêne. Non point, vous l'imaginez aisément, celui qui désigne les minets minous matous donzelles félines de toute sorte, y compris les chatons et chatonnes : de ceux-ci, non seulement le nom ne me gêne pas mais encore je n' ai jamais assez, laissez venir à moi les petits enfants des chats car ils sont l'innocence et la douceur et la fidélité. Non. Ce qui me gêne, c'est le même mot dès qu'il est emprunté à l'anglais, donc qu'il devrait se prononcer autrement, donc qu'il devrait dire autre chose. Oui, ça me gêne comme une parole incongrue. Et ça me gêne aussi aux entournures d'imaginer comment on le prononce entre jeunes branchés, à l'instar de tous ces mots anglais ou assimilés dont on parsème allègrement la conversation de notre temps. Je suppose que les mêmes jeunes qui s'insurgent contre les locutions latines pourtant si inoffensives sont tout heureux de compter de plus en plus de ces immigrés anglosaxons dans leur vocabulaire, intégrés au point de devenir des automatismes même avec leurs contresens officialisés (un bel exemple, sans aller plus loin : qu'on ait eu la malencontreuse idée de forger le mot " les supporters" il y a déjà beau temps, passe, puisque aucun mot français n'existait pour cette catégorie de citoyens excités; avec une prononciation approximative, on reconnaissait tout de même que c'était un dérivé du verbe anglais to support, qui voulait dire soutenir, appuyer, voire dans certains cas subventionner; mais qu'à partir de cet intrus on ait forgé le verbe français supporter - je supporte les verts, il supporte les bleus - sans se rappeler qu'il existait déjà avec un sens pratiquement antipodique - je la supporte, mais c'est pénible vous savez! - arrive à l'absurdité totale). Une de plus dans le monde mondialisé où nous nous débattons. Il n'empêche que la prononciation invraisemblable imposée à l'anglais (et ma foi, tant pis pour lui! il n'avait qu'à ne pas nous envahir comme au temps de la Guerre de cent Ans) et ouvertement pratiquée partout (entreprises, télé, radio, nouvelles... oh là là! comme disaient les Allemands au temps de l'Occupation quand ils voulaient montrer qu'ils se mettaient facilement à l'heure française) m'irrite comme une piqûre de moustique. Et vous savez comme ça dure, l'irritation d'une piqûre de moustique : pendant des jours, à l'heure même où elle vous a été infligée, elle va se remettre à vous brûler et vous démanger, en piqûre de rappel si j'ose dire ou, plus benoîtement, en guise de souhait de bon anniversaire. Donc une irritation insupportable (ha!ha!) dont l'intensité se renouvelle avec chaque mot emprunté et mal tranplanté dans le terreau linguistique français. Mais je sais bien que je prêche ici dans le désert. D'abord il n'y a guère pour m'écouter que quelques flâneurs errant sans but sur la toile (notez bien qu'ici ça ne me gênerait point qu'on dise le web, puisque c'est une invention extérieure dès le départ affublée de sa dénomintation étrangère; imposer de dire la toile me paraît un combat d'arrière-garde insupportablement - ha!ha! -puéril, à peu près comme si on cherchait maintenant à trouver un équivalent de bonne source gauloise pour le mot camping). Et ensuite, parce que la prononciation des Français parlant la langue de Shakespeare a toujours prêté à rire de l'autre côté de la Manche ou de l'Atlantique; que la pratique éhontée s'en généralise n'arrange rien, de même que la peur n'évite pas le danger. Bref, mes belins-belines, autant je terminais hier mes allocutions concernant les formules latines avec optimisme - si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres -, autant aujourd'hui je dois y aller de mon pessimisme le plus caractérisé. L'anglais que vous parlez dans vos tchat et tchatch, et pourquoi pas dans vos tchatchatchas, n'est pas de l'anglais. Ce n'est même pas du franglais, qui avait le mérite d'essayer des greffes plus ou moins réussies. C'est désormais de l'emprunt, de l'ignorance foncière sous couleur de modernisme, voire d'à la pagisme, c'est nul et vous n'en êtes pas conscients. Je vous dirais bien Good-bye, See you soon, mais je doute que vous le méritiez - et puis vous ne comprendriez même pas mes messages à vos chats si je vous les exprimais en anglais. Donc Bien le bonjour à vot'chat si y a personne chez vous. A demain.
Lucette Desvignes