Derrière cette réaction d’horreur qui saisit tout individu un peu sensible à l’annonce des attentats qui sont désormais inclus dans les aléas de notre quotidien, que se cache-t-il, non pas honteusement bien sûr mais comme éléments constitutifs de cette stupeur ? L’incrédulité devant le monstrueux disparaît vite : oui, l’horreur s’est bel et bien produite, et l’incroyable est devenu fait réel, avéré, concrétisé dans la souffrance et la mort. Il faut du temps pour enregistrer selon nos mesures la dimension géante de pareils faits-divers : nous avons déjà perdu la notion d’énormité des pertes dont se charge la guerre, même si nous n’oublions pas la dimension de la Shoah qui a pu nous apparaître comme quelque chose au chiffre abominable : depuis lors, au cours des années et même des générations, les chiffres agités par les financiers et les économistes ont par leur dimension folle émoussé notre perception du nombre. Cependant elle se réveille dès lors qu’il s’agit d’humains fauchés ou mutilés parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. C’est plutôt cette indifférence du sort de chacun exercée par la réalité du fait qui frappe : nul lieu sûr contre cet aveuglement pour la prochaine fois – car en même temps s’installe la certitude qu’il y aura une prochaine fois. C’est ainsi que la peur gagne, malgré les démonstrations de vaillance et de résilience spontanément liées à la compassion et au partage de la douleur. La sincérité du bouleversement n’a pas à être mise en doute, mais le dosage de la peur, contrairement aux sondages qui traduisent l’effondrement des popularités, ne fera sans doute que croître et embellir.