Lucette DESVIGNES.
Oui, je sais bien, je vous ai promis de la dégustation de mots savoureux. Bien d'accord! mais laissez-moi tout de même le temps de me retourner. J'ai des tas de choses dans ma tête, et c'est sûr qu'il y a vous, mes belins-belines, mais vous n'êtes pas tout seuls : c'est déjà bien beau que je vous compte dans mes priorités, ne vous plaignez pas, ce n'est pas le cas de tout le monde. Alors... Pour aujourd'hui, laissez-moi me concentrer sur le dernier épisode de mon soap favori, ces Eastenders du quartier d'Albert Square, avec ces maisons aux logements tous semblables par la disposition et, presque, la décoration passe-partout. Ne criez pas à l'égoïsme : si je vous en parle, c'est bien que j'espère en tirer quelque enseignement pour vous, car le fameux intérêt dramatique déjà mentionné et analysé s'illustre ici de manière spéciale. Imaginez un corps d'homme gisant sur le plancher du pub dédié à la vieille reine Victoria, ce pub objet de toutes les convoitises depuis toujours mais de convoitises évidentes depuis quelques semaines. A côté du corps recroquevillé et bien mort (past redemption, même : c'était un drôle de salaud, ce bonhomme), le buste de ladite reine, en bronze peut-être, un peu cabossé sur le côté et orné de cheveux et de sang (les deux choses adventices : au départ le buste ne comportait aucune de ces additions). S'il n'y avait que ça, ce serait simple. Mais: 1) le mari de la jeune femme enceinte qui dans les larmes révèle qu'elle a été violée par le corps quand il était en vie porte à la main droite d'étranges marques sanglantes mal nettoyées - 2) la prostituée du coin, intrigante et bouffant à tous les râteliers, qui a été virée du pub dont le corps encore en vie avait pris possesssion avec fracas, a juré de se venger; elle a même lacéré un portrait du corps en train de sourire et manipulé avec fureur un poignard servant benoîtement à ouvrir le courrier - 3) la nièce du corps quand il était en vie lui reprochait d'avoir poussé sa fille au suicide (qu'est-ce qu'il avait bien pu lui faire quand il était encore en vie?) et, tout fraîchement, l'accuse d'avoir déclenché une fausse couche en la cognant contre le b ar - 4) le neveu un peu simplet, dont on exalte le rattachement à la famille quand on a besoin de lui (par exemple pour faire partir un essaim d'abeilles logé sour le toit) mais qu'on tient à l'écart de tous les bonheurs familiaux quand il y en a, accumule des rancunes et des humiliations qui atteignent un plafond depuis quelques jours - 5) une espèce d'escroc bon à tout bon à rien, qui avait pris le pub en gage au cours d'une opération compliquée et avait dû tout restituer l'avant-veille du meurtre, a mis sens dessus dessous l'appartement du corps en éparpillant les papiers pour rechercher un CD le compromettant - 6) une autre nièce du c orps défunt, égarée sur des voies tortueuses après un long séjour en prison et lui attribuant la responsabilité de la ruine de la famille, se cache derrière les haies de la place avec d'étranges regards, elle qui avait promis à sa mère éplorée de tout remettre en place... Comment voulez-vous qu'on lâche pareil scénario? De ma vie je n'ai encore vu tant de coupables possibles à la fois... Si ça n'est pas du suspense, ça,... ("Mais alors qu'est-ce que c'est?" avec la voix tendre des frères Jacques chantant le p'tit bout de la queue du chat). N'oubliez pas ce schéma, vous aurez besoin de vous y reporter quand je vous tiendrai au courant du déroulement des choses. Inutile d'en parler à vos chats, ils sont si facilement impressionnables! A demain!
Jugements esthétiques
Je méditais hier – pourquoi donc ne pas vous en faire profiter aujourd’hui ? jamais trop tard pour bien faire – sur la manière dont se forgent, se transportent et s’incrustent les jugements esthétiques. Ceux par exemple sur les films. J’ai été formée dans ma jeunesse à l’école d’un Ciné-club rigoureux, et si j’ai des lacunes c’est bien dans le cinéma contemporain, où je suis incapable de me démultiplier pour pouvoir suivre dans tous les azimuts et sur tous les continents. Mais je déplore que, sous prétexte qu’un film ait été boutiqué dans les années héroïques, entre 30 et 36 surtout, on doive automatiquement le considérer comme un chef-d’œuvre. Quand on a dit film-culte, on peut tirer l’échelle, plus personne ne peut glisser une pâle et faible objection : si vous ne suivez pas aveuglément c’est que vous ne comprenez rien à rien. Je m’insurge naturellement là contre. J’ai besoin de garder mon indépendance de jugement, et en particulier sur des navets comme cette affreuse « Silvia Scarlet » qu’on veut nous faire passer pour une perle rare à découvrir sans faute. Je l’ai vue deux fois, histoire, honnêtement, de bien revenir sur mes préjugés de la première vision ; mais, aussi honnêtement, je n’ai pu envisager une troisième vision. On peut toujours prendre la défense de Cukor en mettant au premier plan ses problèmes personnels d’identité sexuelle : ça ne fera jamais cacher le grotesque absolu de cette malheureuse Katharine Hepburn déguisée en homme, avec ses pantalons trop larges et – pire que tout ! – son nasillement traînard et haut perché qui vous perce les oreilles. Si vous la flanquez d’un Cary Grant qui n’en est encore qu’au stade clown-acrobate (il ne sait pas encore qu’il peut devenir bouleversant dans « None but the Lonely Heart ») et qui gouaille vulgairement avec des clins d’yeux malsonnants (oui ! malsonnants !), vous obtenez un des plus désolants navets de toute l’histoire du cinéma. De grâce, qu’on l’exhibe comme navet, afin de montrer ce qu’il ne faut pas faire aux réalisateurs qui cherchent encore leur voie. Mais qu’on réserve bien les termes incitatifs consacrés par la tradition aux films qui en valent la peine, ou au moins dans lesquels on peut trouver un petit quelque chose. Ici, nada nada nada. Mes chats se sont, comme moi, détournés avec accablement. A demain.
Lucette DESVIGNES.
Vive mon ordi !
Je dis ça avec le coin des lèvres un peu crispé, mes belins-belines. Depuis ce matin j’enrageais pour vous contacter – vous savez que vous êtes devenus ma drogue, tous et toutes, et que, voyant ma tendance à me consacrer à vous comme à un poison délicieux , j’ai depuis que je blogue décidé de ne plus jeter mon mérpis à la face des fumeurs impénitents : je sais ce que c’est que de ne pouvoir résister à l’appel de sa drogue favorite. Bon. Passons maintenant aux réalisations techniques. Eh ben là, mes belins-belines, c’est loin d’être aussi euphorique. Je ne pouvais pas vous contacter parce qu’un truc (je laisse aux experts le soin de mettre l’étiquette qu’il faut sur ce machin) qui s’appelle msimn-exe (je crois) m’a dit au moins vingt fois de suite qu’il a rencontré un problème et qu’il doit fermer, avec toutes ses excuses (il n’a pas ajouté ses meilleurs vœux mais il a dû oublier). Cela voulait dire que je ne pouvais pas vous expédier mes aimables propos, et je pensais avec chagrin à votre désespoir de ne rien voir venir de ma part sur vos petits écrans. J’ai donc appelé l’homme de l’art, et alors je vous assure que c’est vraiment de l’art qu’il pratique. J’en ai vu défler des choses, des lettres, des paragraphes, des ci des ça, de toutes les couleurs de toutes les graphies de tous les formats. Pas le temps de lire ce qu’ils disaient tous, mais l’homme de l’art semblait parfaitement à son affaire. Et je te nettoie ci, et je te transfère ça, et je te vide hue et je te supprime dia… De quoi en être éberluée ! Le tout pour retomber autant de fois que moi sur le même barrage. On est donc allé au fond de l’ordinateur, j’ai vu les ruches, mes belins-belines, ça m’a pas vraiment impressionnée mais c’était une chose inédite pour moi. Après m’avoir supprimé l’invitation pressante à compresser des choses précieuses (ils me font ça des fois sans m’avertir, ensuite je ne retrouve plus mes petits, mais ils m’annoncent tout fièrement qu’ils ont compressé et qu’ils m’ont sauvé - sauvé ! on croit rêver ! - deux ou trois bricoles, l’homme de l’art m’a à peu près rétabli mes circuits vitaux. J’ai eu du plaisir, tout de même, à voir dans le courrier des autres artistes qu’ils souffrent comme moi des mêmes maux (en particulier ces compressions automatiques), j’ai vu qu’ils s’échangent des tas de recettes, mais en conclusion ce sont des recettes aléatoires, j’ai donc bien compris qu’il n’y a pas rien que moi qui nage sur la toile, même si moi je me noie dans pas beaucoup d’eau. Tout ça pour vous dire à demain, tard, sans papier-cadeau pour emballer la chose, et sans même une minute pour vos chats.
Lucette DESVIGNES .