14 janvier 2013
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De temps à autre, mes belins-belines, je redoute de vous apparaître comme un vieux juge grincheux qui sous le poids de l’âge ne trouve rien de bon et qui pousse la mauvaise foi jusqu’à démolir sciemment et méticuleusement des œuvres quelles
qu’elles soient que le reste du monde encense ou a encensées. Témoin ma gêne en face de ce pauvre Dickens, que je n’arrive pas à aimer alors qu’à
plusieurs reprises je me suis mise dans la peau d’un vigoureux défenseur de ses couleurs. On dirait presque qu’il suffit de me vanter quelque réussite pour que je dégonfle les enthousiasmes – comme si c’était de ma part une ligne de conduite dont je ne voudrais pas varier. J’ai revu
La Dame de Shangaï, connue depuis des lunes mais non revue de fraîche date. Les trois étoiles, sans
m’impressionner, indiquaient tout de même qu’il s’agissait là d’un monument de notre patrimoine cinématographique – las ! que de naÏvetés, de choses mal faites ou mal conçues, dans ce
film ! Après tout, s’il avait été boudé et ridiculisé à sa sortie, il devait y avoir quelque raison… Mais la promenade philosophique de ce marin aux grosses joues qui ne se mêle pas à ce
quatuor de requins tout en les accompagnant en croisière jusqu’à l’extermination finale est d’un ridicule achevé. Les scènes « réalistes » du début, entre matelots, sont débiles (et les
aperçus de la population, par exemple dans le public du procès sous forme de vieilles femmes hystériques, m’ont navrée par leur débilité). Même la fameuse scène finale de la fusillade à travers
les miroirs se trouve gâchée par les agonies grotesques qui lui succèdent…Mes belins-belines, ne me dites pas que vous avez trouvé le film digne
d’être appelé chef-d’œuvre, ou alors défendez-le avec vigueur : ça aussi ça me plairait !
lucette desvignes
12 janvier 2013
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Les tempi de production laissent
davantage à désirer en fin de semaine, et je me suis souvent demandé pourquoi. Je pense qu’une atmosphère se génère, laquelle incite sournoisement au relâchement des rythmes – car enfin on ne
peut dire que le samedi soit une journée d’inactivité : tout le monde et son père se précipitent dans les magasins, les CDD sont embauchés pour ces 24 heures d’affluence espérée dans la
restauration ou la coiffure, parfois aussi dans le commerce grandes surfaces, bref tout le monde s’agite, les vendeuses s’en sortent mal le samedi,
les pieds gonflés la voix rauque. Pour autant, à part les damnés du travail pour qui c’est le jour redouté, il flotte dans l’air, dans les rues, une espèce de laxisme dû aux allures des foules,
puisqu’il ne s’agit plus pour elles de se rendre au boulot. Un brin d’aléatoire entoure les déplacements par le bus ou le tram, si je n’attrape pas
celui-là tant pis je prendrai le suivant…Sans doute aussi la proximité du dimanche pose-t-elle sur le samedi des couleurs de liberté, de non contrainte, de repos en réserve dont on jouit par
anticipation – et qui aident parfois à traverser les bousculades en brillant au loin comme la récompense dominicale à cueillir. Bref encore c’est le jour où paraissent les suppléments
loisirs des journaux, c’est bien un signe. Moi, mes belins-belines, je continue sur ma petite lancée, cahin-caha, peut-être un peu plus caha que cahin le samedi, mais prête à me refaire une santé
le dimanche pour mieux vous séduire dès le départ de la nouvelle semaine…
lucette desvignes
11 janvier 2013
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Lorsque je tonne et tempête
contre les féminisations abusives qui, à mon avis, trahissent davantage un esprit inutilement revanchard de femelles frustrées qu’elles n’expriment la réalisation d’une égalité restée théorique,
j’appelle toujours à mon secours les exemples latins de professions qui, malgré leur terminaison féminine, n’ont jamais causé d’ennui à la virilité de leurs représentants : on n’aurait
jamais eu l’idée, à Rome, de décliner sur rosa, la rose – c’est-à-dire au féminin – l’adjectif accompagnant scurra, poeta ou nauta. Et pour pape, donc (toujours à Rome mais
une fois la république puis l’empire oubliés), nul flottement entre deux genres, même si « habemus papam »a l’air de proclamer un
rattachement provocant à la première déclinaison. Dans le même ordre d’idées, on devrait en toute bonne logique se pencher sur le cas humiliant des estafettes, des vigies, des ordonnances :
tous ces hommes (et, de plus, des militaires, dites un peu !) traités comme des spécimens à part, écartés de la foule des mâles pour ces fonctions délicates et spéciales… Et des vedettes, donc ! Delon, Ventura, Bébel se sont-ils jamais plaints d’être comptés comme les valeurs les plus évidentes du vedettariat français ?
comme des vedettes éclatantes, glorieuses, triomphantes ? Allons, allons, je vous dis que ce faux problème de la féminisation des professions désignées par un vocable masculin ne tient pas
debout – mais comment faire à présent puisque le mal est fait ?
lucette desvignes
10 janvier 2013
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Des lambeaux de chanson me trottent par la tête depuis deux ou trois jours – en général ce sont plutôt des symphonies ou des concertos, des deuxièmes mouvements
surtout (amples, vastes, recueillis, brassant tant de choses), mais il se trouve qu’en même temps qu’Elena et les Hommes se programmait tout
récemment j’ai reçu un prospectus vantant la chanson française sous son aspect le plus ringard, avec Piaf tout de même sous toutes les coutures pour relever le niveau. Si bien que j’alterne, en boucle, Mon Légionnaire et
Ô Nuit, donne-moi un amant. Ce que j’entends, naturellement, ce sont ces deux voix étonnantes, chacune dans son registre et son genre, toutes les
deux capables de vous tirer des larmes si vous vous laissez un peu faire. L’une poussée au maximum, maximum de hauteur, maximum de force, se brisant dans le mineur, s’épanouissant dans le Majeur,
vibrant sur ces « r » traînés au fond de la gorge. Et l’autre toute en retenue parce que tellement puissante, comme s’il s’agissait avant tout d’empêcher les éclats, la forçure, le
bruit…Se glissant entre le mineur et le Majeur, dans ses vibrations lentes qui m’évoquent irrésistiblement les ondulations paisibles des touffes de laîches où se caressaient les tanches au vivier
de mon père, dans ses raclements délicats où le vibrato paraît opéré à la main, dans ses graves qu’on suit si profond qu’on en a presque mal. Je suis
gâtée ce matin, ne me plaignez pas… Et je n’ai jamais entendu dire que Piaf ou Gréco avaient eu envie de changer de nationalité. Et vous, mes belins-belines ?
lucette desvignes
9 janvier 2013
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Dans la scintillante panoplie des succès de rire franchouillards, dont on ne cesse de détailler les faiblesses pour
finir par les décréter inusables (ainsi pour Pouic-Pouic : « certes cela ne casse pas trois pattes à un volatile, mais cela n’empêche pas
qu’on adore » - ou pour Les Tontons flingueurs : « On connaît par cœur, mais on en redemande »), il est rare qu’on cite
Elena et les Hommes, et c’est fort injuste, car c’est sans doute le film le plus tonique, le plus plaisamment drôle qui soit : plus que tous les
autres, il mériterait d’être remboursé par la Sécu… Cette fausse aventure d’un faux général Boulanger recrée cocassement un complot contre la République traité dans le sarcasme, à gros traits
appuyés, comme un conte étourdissant au tempo endiablé. Les foules y sont non seulement présentes, mais actantes, dans l’ivresse d’une revue de 14 juillet ou dans la démonstration collective que
l’amour est la seule force qui puisse mener le monde. Le rire et le sourire d’Ingrid Bergman n’ont d’autre rival pour nous ravir que son merveilleux accent de princesse polonaise. La pléthore
d’acteurs de second rôle, tous utilisés exactement comme on l’attendait et si nombreux, si agités, si bien à leur place, constitue au finale une farandole magique dans la houle de laquelle on se
sent emporté avec bonheur : car comment résister à la voix de Gréco, Gréco avant son nouveau nez,
Gréco la sorcière, Gréco l’amour aux grandes vagues venues des profondeurs ? Guettez bien Elena et les Hommes si vous l’avez manqué
samedi : sa lumière a de quoi ensoleiller votre début d’année même si c’est son hymne à la nuit qui est inoubliable…
lucette desvignes
8 janvier 2013
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Le pire de cette expérience de
relecture (le pire, oui, car dans son ensemble elle m’a été douloureuse : j’ai trouvé consternant de ne pouvoir être plus enthousiaste) est que par moments le plaisir était là et bien là.
Dans ces petits tableaux sans doute à tort chargés d’étoffer l’histoire, il pouvait apparaître un sens de l’humour fort bien venu,
d’autant plus qu'il s'y mêlait du sarcasme avec
habileté. Par exemple la mère de famille qui néglige ses enfants de manière spectaculaire parce qu’elle ne vit que pour envoyer des chômeurs planter du café en Afrique, « à
Borrioboola-Gha ». Ou l’horrible usurier qui ne quitte pas son fauteuil et que sa fille doit sans cesse remonter sur son siège en le secouant
parce qu’il disparaît dans ses vêtements. Un geste ici, un tic ou une manie là – et des personnages se dressent, cocasses ou grinçants, chacun dans son style … il y a même une très touchante
histoire, celle d’un adolescent abandonné depuis l’enfance dans les rues les plus puantes de Londres et qui meurt rongé de fièvre en répétant le « Notre Père » - mais pourquoi sont-ils
tous rattachés (et si mal) au récit principal qui lui se déroule dans un moralisme un peu sot, presque béat ? Et pourquoi nous faire attendre que la lady supprime le notaire qui
allait divulguer son secret de jeunesse ? On a l’impression qu’il y avait là pour l’auteur une ou deux livraisons de feuilleton à effectuer, en faisant patienter les lecteurs du quotidien – mais pour le lecteur du roman c’est insupportable, car tout est si transparent et prévisible depuis
si longtemps ! Vous comprenez combien c'est lourd pour mon entreprise, d'avoir voulu louer encenser restaurer - et puis de me trouver contrainte à critiquer et peu apprécier...De quoi en
prendre l'oreille basse!
lucette desvignes
7 janvier 2013
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Dans l’intention d’être scrupuleusement honnête et objective, je m’étais tracé mentalement des colonnes d’évaluation à partir du texte : je vais les suivre
pour vous, mes belins-belines – mais peut-être allez-vous vous ennuyer comme le rat mort de ce passage au crible… Je pense que le fait d’écrire en feuilleton, non seulement ouvert aux suggestions
des lecteurs (c’était la mode : Walter Scott dans Ivanhoe a bien dû transformer la mort de Front-de-Bœuf en coma profond dont il le fait émerger
au moment voulu parce que les lecteurs n’acceptaient pas d’être privés de leur Normand favori), mais encore offrant mille occasions de tirer à la ligne, a fait le plus grand tort à Dickens pour
la construction romanesque. L’histoire de Bleak House (la maison morne, la maison sinistre, la maison glaciale) est racontée par le journal d’Esther
qui double ou complète l’auteur, lequel dans ses descriptions, réflexions et considérations morales sur la campagne anglaise, la vie citadine et ses injustices, le monde des tribunaux et ses
horreurs, recrée certes une atmosphère d’époque digne de foi. Mais cette histoire toute simple de faute commise par une lady et d’enfant abandonnée
qui trouve à Bleak House le bonheur et l’épanouissement est diluée par des excroissances du récit (si dilution et excroissances peuvent s’accommoder les unes des autres, mais j’en doute
fort) : en fait, chacune pourrait constituer une occasion de peinture sociale indépendante, à tel point qu’on voit mal la nécessité d’un rattachement au tronc principal pour ces portraits de particuliers ou de familles bizarres, souvent extravagants voire invraisemblables et dont les interminables discours n’ont jamais rien de
naturel. Cela fait du mal à la vérité humaine, croyez-moi, de distribuer l’angélisme et la sagesse béate d’un côté, en agitant de l’autre des marionnettes auxquelles personne ne peut ajouter
foi.
lucette desvignes
5 janvier 2013
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Je dois avouer que j’avais des
remords lancinants après avoir consacré plusieurs blogs à Dickens il y a quelques mois : en fait, mes bonnes intentions avaient tourné court, puisque je voulais le remettre en honneur auprès
de lecteurs français qui le connaissaient sans doute mal et que, après examen et réexamen, j’avais fait à sa réputation beaucoup plus de mal que de
bien. Une grosse gêne m’en restait, même si elle se dissimulait assez bien ; j’avais l’impression de lui avoir joué un mauvais tour, juste au moment où on célébrait le bicentenaire de sa
naissance avec éclat outre-Manche. J’ai donc pris le taureau par les cornes et me suis plongée dans la lecture de Bleak House dont j’avais vu le très attachant feuilleton de la BBC – une de ces perles qu’elle exporte largement sur les petits écrans depuis des années. Gros exploit :
797 pages imprimées serré en caractères minuscules, conformément à la tradition des classiques anglais entoilés pour résister aux siècles. Croyez-moi si vous voulez : non convaincue à la fin
de l’épreuve, je me suis estimée assez honnête pour m’imposer une deuxième lecture encore plus attentive, afin de mettre toutes les chances du côté de Dickens. J’en émerge aujourd’hui, mes
belins-belines, et je me secoue comme un chien s’ébroue en sortant de l’eau : je sais d’avance que vous allez en être tout éclaboussés.
lucette desvignes
4 janvier 2013
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Vous connaissez certainement cet admirable texte de Soljénitsine Une journée d’Ivan Denissovitch : sur le mode sarcastique, et bien entendu sans prétention aucune, je vais pouvoir vous donner le compte-rendu d’une
demi-journée à l’hôpital général hier après-midi. La convocation demandait d’être en avance d’une bonne demi-heure pour l’établissement des dossiers : toujours zélée, je suis là presque une
heure avant. L’accueil est plein, une soixantaine de gens debout serrés en botte. Je demande où commence la queue, on m’indique une machine à tickets où j’arrive en traversant cette marée
humaine, après il n’y a plus qu’à attendre en gagnant, à l’ancienneté, un des rares sièges. L’appel de mon numéro me permet l’entrée dans le château de Kafka : contrôle des papiers, puis
salle d’attente principale avec des appels qui expriment une activité incessante de tous ces stagiaires en blouse blanche – les gens se lèvent, sont escortés ailleurs, reviennent, reprennent leur
place, attendent (on vous balade jusqu’à des tanières obscures où des infirmières en série vous maltraitent l’œil avec de sophistiquées machines, avec ou sans gouttes vous pleurez devant
l’intensité de l’aveuglement, mais on prend la précaution de vous faire mariner un bon quart d’heure entre deux interventions, cela vous empêche de vous ennuyer). Enfin on me juge bien préparée
pour la consultation suprême : je raconte tout (on veut sans doute vérifier mon sens de la vérité, car tout est déjà consigné par le menu dans les divers apports qui sont venus gonfler le
dossier en cours depuis des mois, moi je suis imprécise et je saute des données importantes, on ferait mieux de se fier à l’écrit plutôt qu’à moi mais ça doit faire partie du protocole). Aucun
diagnostic autorisé à la tombée de la nuit, et pourtant j’étais venue pour ça. Eh bien il me faudra revenir : me voilà coincée dans un engrenage de consultations régulières, tout ce que je
ne souhaitais pas… mais ils sont tous et toutes si gentils, affables, souriants, aux petits soins…Comment leur résister, s’ils ne peuvent se passer de vous ?
lucette desvignes
3 janvier 2013
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Je me sentais encline à
moraliser en cette fin d’année – j’espère que vous me le pardonnerez, mes belins-belines, mais que voulez-vous ! Il faut ce qu’il faut… Je vous
parlais vendredi (N°1247) de la vanité des éclairages à tout va pour célébrer que le monde va si bien pour tous : je pourrais reprendre le même thème après avoir vu – et revu – les plans du
nouveau monstre des mers qui est en train de prendre forme et beauté à Saint-Nazaire. Et croyez bien que je me réjouis (si l’incursion de la Finlande et de l’Europe dans le lancement de ce projet
superbe ne doit pas entraîner des complications douloureuses) des millions d’heures de travail qui
vont, enfin, faire la nique au chômage. Et aussi, bien que je ne sois pas trop du genre Flotte petit Drapeau, une espèce de fierté à voir cette élégance, cette grâce imposante. Mais tout de même,
mes belins-belines, je ne peux m’empêcher de penser en même temps à tous ces détails qui vont faire de cette Oasis des Mers une chose admirable : une galerie marchande de toute la longueur
du paquebot (quelque 321 mètres, si j’ai bien entendu ?), une énorme salle de théâtre, une patinoire, un parc (avec de vrais arbres, plantés dans de la vraie terre)… En somme, tout un
quartier où le XVIème se retrouvera sans peine. Un doublon, en quelque sorte… Et je n’ose pas calculer (vous savez bien mes incapacités en arithmétique) combien cela ferait de lotissements
modestes, de terrains de sport, de piscines, de terrains de jeux et d’écoles dans une banlieue morose – ou, pourquoi pas ? combien de logements d’urgence (dont il me semble bien qu’on ait en
ce moment un pressant besoin…mais je me trompe peut-être...).L’idée s’impose à moi, même si je sais bien que les commanditaires de cette merveille des mers n’ont aucun rapport avec les décisions
officielles – cela me fâche autant que lorsque j’apprends les bénéfices empochés par ma banque au cours de cette année.
lucette desvignes